Nouvelle chronique “Le fond de l’air est vert” à voir sur La-bas si j’y suis : Vous vous souvenez des députés qui avaient déballé leur caddie à 5 euros pour protester contre la baisse des APL à l’Assemblée nationale ? Alors pour Là-bas je me suis penchée sur la partie, disons « sexy » du caddie : une tablette de chocolat, un paquet de café, et une bouteille de vin, pour vous parler de climat.
Parce qu’on voit bien que tant qu’on parle du pôle Nord, de la banquise, des ours blancs, ça fait de jolies images, c’est attendrissant, mais ça reste loin pour la plupart des gens.
C’est la question qu’on se pose tous sur le climat : comment partager ce que nul n’a envie d’entendre ?
Parler de concentration de particules dans l’atmosphère, se perdre dans le nombre de degrés à ne pas dépasser, sans se souvenir de l’année de référence, perdus dans les arcanes des négociations des sommets climat : tout ça a du mal à pénétrer les consciences. Ça manque de concret.
Alors je vous propose d’en revenir au sens commun cher à Gramsci, et de repartir de ce qui fait nos petits plaisirs de tous les jours. Café, vin, chocolat : nos petites drogues du quotidien.
Il se trouve que récemment toute une flopée d’articles sont sortis pour illustrer les discussions de la Cop23 à Bonn en montrant ce que le dérèglement climatique va changer concrètement dans notre vie : non pas à l’autre bout du monde, comme dans le Pacifique où des îles sont en train de se faire engloutir dans l’indifférence générale, mais ici en France. Dans nos vignes, dans nos tiroirs et nos placards.
Un premier effet du changement climatique sur le vin, c’est le degré alcoolique qui augmente. Jusqu’ici ce n’est pas trop grave, me direz-vous. Mais les dates de vendange s’accélèrent partout, et les châteaux bordelais investissent dans des vignes en Angleterre. Même la vénérable maison Taittinger envisage de produire du Champagne sur ses terres du Kent ! Là j’en vois déjà qui s’étouffent : du champagne en Angleterre ? C’est le monde à l’envers ! En 2100, certaines hypothèses prévoiraient même la disparition pure et simple du vignoble méditerranéen. Et un article dans La Croix nous invite à imaginer des vignes à Oslo ou des truffes en Champagne à l’horizon de 2100 ! La truffe est en effet une sentinelle très sensible au climat – mais bon, qui a les moyens de se payer des truffes ?
Parlons plutôt de café et de chocolat (mais c’est valable pour le sucre de canne, le maïs, le blé, le riz et le soja qui constituent l’essentiel de l’alimentation de nombreux pays du monde et pourraient bien se raréfier aussi). En cause, donc : le réchauffement, la multiplication des aléas météorologiques (grêle, tempête, sécheresse) mais aussi le déplacement des insectes pollinisateurs, comme les abeilles, vers des régions plus hospitalières. Selon une étude publiée en septembre étude dans les Comptes rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS), en Amérique latine, le scénario le plus sombre prévoit une baisse de production du café de près de 90 % d’ici 2050.
Au Mexique, 3e producteur mondial, la moitié de la production de café a déjà disparu en cinq ans : une maladie du caféier, la rouille, grimpe en altitude avec le réchauffement et les pluies. Alors on replante des hybrides avec des gènes de robusta, le bien nommé – fabriqués dans un labo… en France ! On replante plus haut, que ce soit Mexique, au Guatemala, en Colombie ou au Costa Rica, dans des régions montagneuses où les températures seraient plus favorables aux caféiers et aux abeilles sauvages. Sauf qu’à un moment, les montagnes ne seront plus assez hautes, et les abeilles plus assez oxygénées…
Pour le chocolat c’est le même scénario : réchauffement, sécheresse, maladies. Au Salon du chocolat à Paris, les professionnels ont alerté sur les risques du climat sur la production d’ici 20 ans, notamment en Côte d’Ivoire et au Ghana. Avec la sécheresse, les fèves sont plus petites et produisent moins de cacao. Il y en a une en revanche qui se délecte de ce temps sec, c’est la cochenille farineuse, porteuse du virus de la pousse gonflée qui s’attaque aux cacaoyers. L’avenir s’annonce donc compliqué pour nos tablettes de chocolat.
Vin, café, chocolat : évidemment ce ne sont pas les conséquences les plus dramatiques du changement climatique et de l’inaction de nos dirigeants. Et au début j’avoue, ça m’a agacée de lire toutes ces Unes sur ces sujets formatés sur mesure pour meubler trois minutes dans le JT sur la Cop23. Évidemment j’aurais préféré qu’on parle de la responsabilité des multinationales, des banques, du poids des lobbies, de comment se passer des énergies fossiles et de la campagne « pas un euro de plus ». Mais après tout, pourquoi pas : c’est concret, palpable, ça a un goût et une odeur. Ça parle à tout le monde, ça frappe les esprits. Espérons que ça aura plus d’impact que tous les graphiques réunis.