En 2010, mon florilège de fin d’année était fait des Wombats, de tunnels, du mauvais esprit de Titom et de la tentation d’Épicure. En 2011, c’était une guirlande faite d’une barque, livrée aux abîmes, de l’immense Océan des désirs, de monos d’Ecuador et de correspondances amoureuses de Maiakovski. En 2012, des Rêves de fuschia, amour, poésie et révolution, toujours, des lectures un soir d’été, un verre de cognac à portée de main, et le cœur en bandoulière, encore…. Puis curieusement rien ne vint en 2013. Et en 2014, un coup de gueule Comment osent-ils suivi de voeux de Rêves à n’en plus finir. Vous, fiers et heureux.

Photographie Kourtney Roy

Cette année, des rêves et du fuschia toujours, en suspens, mais aussi toute une gamme de bleu en Technicolor, des sons qui vibrent, des mots, des envies, des murmures, plein, partout. Des plongées dans le Sud profond et troublant des margousiers et de la boue rouge, celle des chemins sensuels, envoutants et terrifiants qu’emprunte Ruby… Mais d’abord du blanc et de la mise en abime du réel, teintés de singulier et d’essentiels pas de côté.

Il y a des gens comme moi Qui ont besoin d’autre chose que de manger pour exister
Mon corps réclame aussi ce venin qui injecté à mes journées Me fait oublier
Que je ne rêve plus

Alors en guise de venin salutaire de fin d’année je souhaite à chacun de se coller Grand Blanc très fort dans les veines en filant de nuit sur une route de montagne embrumée, jusqu’à sentir avec gratitude ses ailes repousser.

Oh faites moi taire. Faites moi taire (…) Je veux une vie de printemps
Simplement
Et séchez moi ces yeux d’hiver (…) Si cassants

Puis de faire silence et guetter le moment où les sens sont suffisamment posés pour pouvoir gouter pleinement une autre plongée en intime, toute de délicatesse et de sincérité de ces émotions qu’on enfouit habituellement très profond, et lire Une femme fuyant l’annonce, de David Grossman, lecture d’un été spleenien en bord d’Océan. Où j’ai retrouvé… Oh tout. Magnifique de justesse des sentiments, magistralement perturbant.

– Ora…, reprend Avram avec difficulté, comme s’il se hissait hors d’un puits. je ne peux pas rester seul.

Les premières lueurs du jour viennent les éveiller, encore perdus dans les brumes du rêve, à la lisière d’une prairie. L’herbe ondule à perte de vue dans un camaïeu de vert flamboyant. Ils sont seuls au monde, il n’y a pas âme qui vive, l’odeur originelle monte de la terre, l’air bruit de créatures minuscules, vaporeux et humide, le voile de l’aube se déploie au-dessus de leurs têtes, et ils ont les yeux rieurs d’avant la peur, d’avant eux-mêmes.

– Les choses les plus anodines recèlent tant de beautés, et tu les verras toujours, Ora’leh, promets-moi de ne pas passer à côté.

Autrefois, quand il la regardait de cette façon, elle mettait son coeur à nu, ne lui dissimulant rien. Lui seul avait le droit de lire en elle à livre ouvert. Pas même Ilan. Elle le laissait – quel mot horrible, “laisser” -, elle laissait Avram regarder en elle, pratiquement depuis le jour de leur rencontre, car elle avait le sentiment, la conviction, qu’il y avait quelque chose en elle, ou quelqu’un, peut être une Ora plus fidèle à sa véritable nature, plus conforme, moins vague, qu’Avram semblait capable d’atteindre. Il était le seul à vraiment pouvoir la connaître, la bonifier d’un regard, par sa simple présence. Sans lui, elle n’existait pas, tout simplement, elle n’avait pas de vie, et donc elle lui appartenait de droit en quelque sorte.

Ne pas se consoler tout de suite et alimenter le beautiful spleen de fin d’année avec Alabama Monroe. Lui, barbu et brut de tendresse. Elle, tatouée et élégamment désaxée. La plus bouleversante histoire de couple ever. A regarder sous une couette, dans une caravane douillettement aménagée à la lumière de bougies, avec clopes et rhum à portée de main. Un drame absolu, de rock’n roll et de frissons, d’une beauté sans mièvrerie et d’une cruauté renversante. 

… Et enfin renaitre doucement de la timidité des cimes, cet interstice de protection parfois nécessaire pour survivre, en se répétant mille fois cette phrase d’Anais Nin :

Vint un temps où le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore

Le temps de se rincer le regard, se réenchanter l’âme, faire pétiller des coupes et griller quelques kilomètres de bitume vers Rome, et en 2016 je reviens en Fille du Vercors.
Les sens réaiguisés, du Kourtney Roy plein le viseur. Et de nouvelles envies de joli grabuge.

D’ici là restez libres et fiers.

Belle fin d’année à vous…

Photographie Kourtney Roy