Un feuilleton mal ficelé…
Mercredi, la commission Montagne de la Région Auvergne Rhône Alpes prévue le jeudi a été reportée au vendredi. Le plan d’urgence de soutien aux acteurs de la montagne n’était pas finalisé. Et puis vendredi, la délibération cadre étant arrivée après le début de la commission censée l’examiner, la dite commission a pris fin au bout de 30 minutes d’exposé du problème et a été re-reportée à lundi matin. Un grand moment. Bref, j’ai enfin pu prendre connaissance dimanche avec attention de cette délibération tant attendue sur les mesures d’urgence et le plan de relance régional pour la montagne, dans la foulée du plan gouvernemental. Elle est ajoutée in extremis dans le programme de la session plénière pour mercredi matin, j’aurai royalement trois minutes (sic) pour m’exprimer au nom du groupe RCES.
Tout d’abord, ce rapport qui a suscité tant d’attentes et de reports parce qu’il avait besoin d’être finalisé dans l’urgence, renvoie finalement beaucoup de choses, critères, bénéficiaires, enveloppe budgétaire et modalités à des commissions permanentes ultérieures. C’est à se demander ce qui a nécessité tant d’ajustements de dernière minute.
D’autant que, s’il y est beaucoup question de “réactivité immédiate” et d'”urgence”, il convient de rappeler que des appels avaient été lancés en commission dès l’été dernier, puis de nouveau en novembre au moment de l’annonce de la fermeture des remontées mécaniques. Il ne fallait pas être grand clerc pour pressentir que la saison hivernale allait être compliquée. Gilles Chabert, conseiller spécial Montagne de Laurent Wauquiez nous avait alors répliqué qu’il ne servait à rien de s’inquiéter à l’avance – en substance : on verra bien, et après tout peut-être que ça ira. Dont acte, non, ça ne va pas.
Rien de ce qui figure dans ce plan en termes de besoin n’est une surprise de dernière minute mais décidément, que ce soit pour le moyen ou le long terme, l’équipe de Monsieur Wauquiez semble avoir du mal à prévenir et anticiper.
… Qui reste scotché sur le ski alpin, l’hiver et la neige
Dans cette délibération, il est tout d’abord écrit en préambule que l’hiver représente 75% du chiffre d’affaires des stations. Voilà qui fixe l’ambiance générale, qui ne parvient pas à se déscotcher de la saison touristique d’hiver, du ski alpin et de la neige artificielle. Le titre de cette délibération est bien pourtant “Mesures d’urgence et plan de relance POUR LA MONTAGNE”. Or selon une étude de l’Insee réalisée pour Atout France en 2017, les quatre mois d’été, de juin à septembre, représentent 51 % des nuitées et 45 % des dépenses en montagne. Voilà pour l’idée reçue selon laquelle la saison d’été en montagne serait moins « touristique » que celle d’hiver. La période de décembre à avril représente en réalité 33 % des nuitées et 40 % des dépenses réalisées par les touristes français. « L’été est donc bien une saison tout aussi majeure que l’hiver », souligne Atout France. Et 79 % des Français interrogés viennent pour y contempler de beaux paysages et être au plus près de la nature.
C’est sans doute cette évolution des aspirations des touristes qui a fini par obliger Laurent Wauquiez à prendre un peu en compte la question climatique et l’écologie, en proposant un volet du plan de relance “à moyen terme qui permette de répondre aux enjeux du changement climatique et ainsi faire d’Auvergne-Rhône-Alpes, la première montagne durable du monde“. Rien que ça. En revanche, pas un mot dans tout le rapport sur cet autre risque bien réel, documenté et rappelé à maintes reprises qu’est le manque d’enneigement.
Il est simplement écrit que “Comme tous les autres territoires, la montagne est impactée par le réchauffement climatique“. Mais précisément non, pas comme tous les autres territoires, il y a une spécificité à la montagne, reconnue par tous les experts : nos territoires de montagne sont beaucoup plus sensibles au dérèglement climatique et les températures moyennes s’y réchauffent deux fois plus qu’en plaine. D’où l’importance du sujet.
Las. “Seront poursuivis” les équipements de neige artificielle, l’aménagement-arasement de la montagne, les extensions de domaines skiables et les retenues d’eau afférentes pour stocker la pluie qui viendra alimenter les canons l’hiver, donc. Que ce soit aujourd’hui les stations de moyenne montagne qui résistent le mieux, grâce aux autres activités, ne semble pas avoir encore porté ses enseignements.
Dans le volet “diversifier l’offre touristique toute l’année“, outre qu’il est répété à plusieurs reprises qu’il s’agit de conforter les sports d’hiver, ce qui n’a un rapport que très lointain avec la diversification « 4 saisons », les opérations éligibles ne concernent que les sites fonctionnant “au moins sur 2 saisons élargies“. C’est à dire que rien n’est prévu pour les stations qui n’ont une activité touristique que l’été parce qu’elles n’ont tout simplement plus de neige en hiver, comme Valdrome par exemple. Cela confirme également que les aides à la diversification pourront concerner de nouveaux équipements de neige artificielle, déjà largement subventionnés depuis 5 ans, pour peu que la station ait une piste de luge d’été ou un circuit de VTT. En fait ce n’est pas de la diversification, mais de l’empilement.
Ce focus très « monde d’avant » sur la glisse hivernale est présent tout au long du rapport qui insiste lourdement sur le fait que ce nouveau plan ne vient pas se substituer à ce qui est déjà fait par ailleurs et ne change rien au Plan Neige qui va se poursuivre, au point de se sentir obligés de nous faire voter un point spécifique là-dessus. Comme si à chaque délibération et nouveau dispositif on devait revoter tout ce qui se fait déjà. Ridicule et épuisant.
Où sont passés le pastoralisme et les producteurs locaux ?
Il y a beaucoup de besoins et de publics inventoriés dans cette délibération, des professionnels de santé libéraux aux centre de vacances, en passant par les viticulteurs et les “ski clubs”. Mais un manque est criant, celui de la montagne hors tourisme en station. Le pastoralisme notamment n’est même pas évoqué dans les axes de diversification des activités. Il s’agit pourtant d’une activité qui a le mérite de s’exercer toute l’année, qui entre dans l’équilibre économique de la montagne et qui est par ailleurs largement aidée par la région quand il s’agit de combattre le loup. Mais là, non.
Les producteurs locaux ne seront pas plus aidés. A l’exception donc des viticulteurs de Savoie qui eux en revanche toucheront un forfait de 1000 euros à l’hectare, plafonné à 15000 euros. Parce qu’avec la fermeture des stations et des restaurants ils ont perdu des débouchés. Mais ceux qui font du miel, du fromage, tous les producteurs qui fournissent les restaurateurs en station, eux, ne rentrent pas dans le plan. Ni sur l’urgence, ni sur la relance. Une inégalité de traitement difficile à accepter.
Sur la diversification, le rapport indique que “L’enjeu consiste notamment à valoriser l’ensemble des potentialités et ressources de ces territoires, dans les secteurs aussi divers que le thermalisme, l’agritourisme, le tourisme culturel et patrimonial, les activités de pleine nature ou encore l’itinérance“. Soit exactement tous les acteurs qui sont exclus des mesures d’urgence. C’est quand même dommage que tous ces acteurs qui deviennent si importants dans le plan de relance ne soient pas aidés dès maintenant. Si on veut compter sur eux pour la suite, peut-être faut-il les aider à ne pas disparaître avant ?
Tout schuss sur l’aménagement, voiture-balai et pas de soutien aux salaires
A noter que les saisonniers, commerces, coiffeurs et épiceries, hôteliers et restaurateurs ne sont pas plus mentionnés. Quand je pose la question, il m’est répondu qu’ils pourront être aidés sur l’enveloppe de 10 millions d’euros consacrée aux « acteurs économique menacés de disparition », sur lesquels aucun critère n’est spécifié. Une enveloppe qualifiée de « voiture balai » pour celles et ceux qui auraient été oubliés. Il faudra tout de même pour ceux-là qu’ils aient déjà perdu 50% de leur chiffre d’affaires.
Comme pour le plan du gouvernement, un fonds d’aide à l’investissement de 15 millions est annoncé, “spécifiquement dédié aux entreprises de l’aménagement de la montagne et de l’équipement des personnes en montagne“. C’est à dire ? Plus de retenues, de pistes, de canons et de logements touristiques ? On ne sait pas quels sont les aménagements de la montagne concernés, il n’y a pas de critères quant aux difficultés rencontrées pour pouvoir bénéficier de ces aides, pas de profil des bénéficiaires, et évidemment aucun critère environnemental à respecter. Les précisions sont renvoyées là encore à des commissions permanentes ultérieures, qui sont rappelons-le des séances à huis clos, sans intervention ni débat possible.
Pour ce qui est des entreprises de moins de 20 salariés créées ou reprises en 2020, enfin, une aide spécifique est proposée mais elle ne concerne que les dépenses d’investissement. Je suggère que ces aides soient élargies au fonctionnement, c’est à dire aux salaires, en soutien de l’emploi. Ce sera un refus de principe, comme à chaque fois. C’est la doctrine Wauquiez : la Région fonctionne du bâtiment, pas de l’animation. Du dur, pas du soft. Des caméras, pas des humains. Tout est résumé là.
Magique : Une « gestion durable de l’énergie » réalisée sans économies d’énergie !
Un des objectifs affichés est d’accompagner la transition énergétique des stations, très bien. Ce volet est intitulé “Gestion durable des ressources en eau et en électricité sur le domaine skiable“. Mais la transition, ou la gestion durable, ne peut pas se résumer à offrir de nouvelles sources de production sans questionner les usages. Sinon on empile juste les consommations et de toute évidence on ne résout rien. Or le terme d’économies d’énergie n’est même pas mentionné. C’est pourtant le principal levier de la transition. Et la principale question posée par les canons à neige, devant l’eau nécessaire, de l’aveu même de monsieur Chabert lors d’une de nos commissions.
… Mais avec des navettes autonomes et des dameuses hydrogène
Proposer des navettes autonomes et des dameuses hydrogène dans ce cadre, c’est l’exemple typique de la fausse bonne solution. Il est étonnant qu’il faille encore le rappeler. Une navette autonome c’est des caméras, des faisceaux lasers pour mesurer les distances, de grosses batteries et un ordinateur central, a minima. C’est encore pire en ville où selon Brian Krzanich, PDG d’Intel, un véhicule autonome va générer et consommer, pour huit heures de conduite, environ 40 téraoctets de données, soit l’équivalent de 40 disques durs d’ordinateur. Il le dit lui-même : « En circulation, chacun de ces véhicules produira autant de données que 3.000 utilisateurs d’internet ».
Quant à l’hydrogène, il est toujours produit dans son écrasante majorité à partir d’énergies fossiles. Pour être qualifié de vert il faudrait beaucoup d’éoliennes – et Laurent Wauquiez s’y est toujours opposé. Philippe Boucly, président de France Hydrogène le dit lui-même dans un entretien : « Les politiques n’ont pas conscience des quantités d’électricité à produire pour remplacer les énergies fossiles. Je vous l’accorde, c’est monstrueux. » Le coût de l’hydrogène « vert », à 5 euros le kilo, est aujourd’hui trois fois supérieur à l’hydrogène « gris » ou « noir » issu du gaz, du pétrole ou du charbon, qui engendre 9 millions de tonnes de CO2 par an.
« Urbanisme raisonné »
Le rapport parle également d'”urbanisme raisonné“. Là encore, on sent que le vent tourne et qu’il faut coller un peu à l’opinion, mais comme on a été échaudé par le projet d’autoroute A45, par le cas Center parcs à Roybon ou encore la déviation de la RN88, autant de projets béton que Laurent Wauquiez a voulu subventionner, on aimerait connaître sa définition du “raisonné” et la position de la Région sur les projets de nouveaux hébergements touristiques de masse comme les Club Med ou Odalys à La Rosière.
A noter au passage que le terme de biodiversité n’apparaît pas une seule fois dans ce volet « Montagne durable ».
Combien pour les « zones de quiétude » annoncées ?
Ce plan « Montagne durable » affiche un budget de 25 millions d’euros. Le hic, c’est qu’on ne sait pas quelle sera la répartition de cette somme entre les différents points annoncés, par exemple au hasard, combien pour les dameuses hydrogène et combien pour les “zones de quiétude” annoncées ? Sachant que là encore, on a la méfiance fondée : pour ce qui est du plan Montagne depuis le début du mandat on en est à un ratio très déséquilibré de 47.5 millions sur la neige et seulement 3.8 millions pour la diversification des petites stations et 12.6 pour l’hébergement. Donc bon.
Voilà. Et maintenant je vais donc essayer de condenser tout ça en trois minutes pour mercredi. Easy.