Un billet écrit à la mitraillette, sans poésie. Juste de l’info brute et du ressenti.
Je siège à la commission agriculture à la Région Auvergne Rhône Alpes. Je m’en fais régulièrement le relais ici. Malheureusement je dois dire qu’on y parle peu d’agriculture et surtout de tuyaux, de fonds européens, de dispositifs et de paperasse. A la Brazil. Mais qu’à cela ne tienne : on s’y met, on décortique des dossiers parfois très techniques, et s’il le faut je me fais éclairer certains points par les acteurs sur le terrain. Depuis le début du mandat, un petit groupe s’est constitué dans les réseaux de l’agriculture paysanne et bio, dont la confiance et le respect se gagnent à force de bosser les dossiers, de consulter et de rendre compte. Parfois, ce sont eux qui m’alertent, vu le peu d’infos dont on dispose dans l’institution en tant qu’élus d’opposition, ou me demandent de vérifier si une demande est bien soumise au vote, ou de poser une question en commission. On bosse, quoi.
C’est ainsi que j’ai été interpellée sur les nouvelles aides régionales à l’installation et à la transmission d’ « exploitations » agricoles (comme on dit, même si je n’aime pas cette expression). Sur le principe, les aides baissent sur l’accueil (mieux financé par l’Etat) pour être augmentées sur l’accompagnement et le suivi, l’aide à l’installation qui n’existait pas en Auvergne fait son apparition, les montants sont jugés raisonnables, la prospection doit être accentuée pour repérer ceux qui veulent devenir agriculteurs et ceux qui vont bientôt arrêter. Pourquoi pas. Et pourtant, nous allons voter contre ce rapport.
Pourquoi ?
D’abord, parce que ce changement de politique aurait nécessité de passer en assemblée plénière, où tous les élus sont présents, peuvent débattre pubiquement et déposer des amendements. Là elle ne va passer qu’en commission permanente ce 18 mai, à huis-clos, avec une partie des élus seulement, sans débat ni amendements. Ensuite, parce que les aides à la trésorerie sont désormais réservées aux jeunes agriculteurs de moins de 40 ans. Et aussi parce que le Comité régional en charge de ces questions (le CRIT) n’a pas été réuni depuis le mois de janvier et ne s’est donc pas exprimé sur ces nouvelles orientations. Ou encore parce qu’il n’y a rien sur le foncier, l’accès aux terres agricoles, qui est pourtant un des freins majeurs à l’installation de nouveaux paysans avec des terres arables qui se réduisent comme peau de chagrin, notamment à cause de projets de béton financés par la Région (A45, Lyon-Turin, gare TGV d’Allan…) sans parler de la coupe des subventions à des organismes comme Terre de Liens.
Et surtout, parce que tous ces dispositifs vont être une fois de plus confiés aux chambres départementales d’agriculture, qui sont toutes – à l’exception notable du Puy de Dôme – présidées par la FDSEA. Au-delà même des soupçons de pratiques qui à elles seules devraient interroger la Région comme l’a souligné l’émission Pièces à conviction, les orientations du syndicat en matière d’agriculture privilégient un modèle productiviste, libéral et concurrentiel. En gros, on pourrait donc cautionner une « exploitation » (pour le coup, le terme convient dans ce cas) qui fontionnerait avec un seul agriculteur, sans salariés, à la rigueur quelques saisonniers pas chers pour la récolte, des tracteurs pilotés par GPS (ça existe), à grands coups de pesticides et d’intrants chimiques, et qui serait rentable grâce aux aides à l’hectare de la PAC européenne. Quitte à appauvrir les sols, à tuer la biodiversité, à nuire à la santé à la fois des producteurs (premiers touchés par la multiplication des maladies liées à l’utilisation de substances toxiques en agriculture abusivement dite « conventionnelle ») et des consommateurs, à produire des aliments sans jus ni saveur. Une vision de court-terme, capitaliste au sens littéral du terme. J’exagère hélas à peine pour les besoins de la démonstration. Bref, pas franchement le modèle que nous défendons.
Et puis, mettre plus sur l’accompagnement c’est bien, mais mais sans les structures qui accompagnaient jusqu’à présent, ça l’est moins. Faut-il rappeler que toutes les structures qui assuraient un suivi historique sur le terrain en agriculture paysanne et bio ont été sabrées depuis plus d’un an avec l’arrivée de Laurent Wauquiez à la Région ?
J’ai reçu ce jour en core le message suivant d’une de ces structures : « Bonjour, Merci pour ces informations et pour votre implication dans ce contexte difficile face au monarque régional. Nous n’avons pas renouvelé notre demande de subvention à la Région ; subventions qui ont été coûteuses en temps et en stress du fait des coups bas de la nouvelle majorité ! Cette boîte mail ne sera plus relevé : c’était celui de notre animateur, poste financé par une subvention régionale. Notre structure a perdu 1 ETP, nous tentons tant bien que mal à garder 1 poste à temps partiel. Le combat continue… Salutations paysannes ». Franchement, j’en pleurerais. Je ne compte plus les maraichers en difficulté, les suppressions de postes qui étaient jusqu’ici dédiés aux missions d’accompagnement juridique, d’aides pour l’accès au foncier, d’information et de conseil sur la conversion en agriculture biologique, d’appui et de sensibilisation…
Et ça continue. Le plan d’actions du nouveau « plan régional pour l’agriculture bio », sur lequel je m’étais déjà battue en session, est pire qu’annoncé. Il va lui aussi être soumis au vote de cette commission permanente. J’ai du y passer des heures pour reconstituer les lignes du tableau qui naturellement avaient changé, vérifier chaque axe un par un, pour finalement constater que les réseaux régionaux de l’agriculture biologique avaient encore été amputés d’une action, celle qui consistait à répondre aux sollicitations liées aux modalités de production en bio, pour un montant de 65.125 euros. A ma question en commission sur ce sujet, il m’a été sobrement répondu « Nous assumons ». Net, sans bavures. Ils assument, donc, la destruction des réseaux au seul profit des Chambres d’agriculture et l’extinction de la diversité des acteurs, les suppressions de poste, les paysans qui ne sauront plus vers qui se tourner, l’absence de prise en compte de la santé et du climat dans chacune de leurs délibérations, la monoculture. Dans tous les sens du terme.
Des sous, il y en a pourtant. Quand la Région donne 120.000 euros, le maximum légal, à une entreprise de patisserie industrielle, Patiprestige, rachetée par le groupe Hafner, qui licencie en Côte d’Or pour mieux rapatrier en Savoie, sur la circonscription de la Vice-Présidente à l’Agriculture Emilie Bonnivard.
Et pendant ce temps, entre deux épluchages de dossiers je récupère une note, datée du 10 mai, qui émane de la Région et du Préfet. Je suis alertée sur le fait que les aides issus de l’Union européenne de soutien à l’agriculture biologique indiquent un plafonnement très bas dans notre Région sur la conversion : 12.000 euros, alors que la plupart des autres Régions sont entre 20 et 30.000 euros. Que les aides aux maintiens, elles, sont carrément menacées de disparition suite aux propos de l’ARF, l’association des régions de France, confirmés en commission. Pourquoi la Région ne demande-t-elle pas une harmonisation nationale de ces aides, au nom de l’égalité des territoires chère à tous les « républicains » ? Je ne le saurai pas, malgré ma question. On me répond qu’il faut « dépassionner le débat ». Mais je ne demande qu’à le rationnaliser moi !
Je ne comprends pas.
Je ne comprends pas que sur des sujets comme l’alimentation et la santé on n’arrive pas davantage à travailler au-delà des idéologies.
Je ne comprends pas qu’on n’introduise pas des produits issus de l’agriculture biologique dans les cantines des lycées.
Je ne comprends pas qu’on ne voit pas bon sang qu’il n’y a pas de paysans sans terres !
Je ne comprends pas qu’on continue à tuer ces réseaux qui font la vitalité de nos campagnes.
Je ne comprends pas.
Mais on se bat.