Le scorbut ?! Eh oui, je sais ça m’a fait le même effet… On le croyait disparu depuis l’arrivée des vitamines de synthèse, la maladie du 18e siècle et des marins au long cours, fait son retour. Aux États-Unis, en Australie, et en France où un cas a été détecté à Dieppe dès 2011 et une dizaine de cas identifiés entre 2014 et 2015 par des médecins du CHU de Limoges. Ce ne sont que quelques cas, mais qui en disent long sur notre alimentation, et sur les rapports entre précarité et santé.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus d’un tiers des adultes est en surpoids ou obésité. En France, c’est 56,8 % d’hommes et 40,9 % de femmes, dont plus de 15 % d’obésité. Et c’est principalement dans les milieux pauvres et défavorisés, de personnes âgées et isolées qui ne peuvent pas faire leurs courses, mais aussi dû à la « junk food » dont l’excès de graisse et de sucre donne aux aliments un effet plus satisfaisant et roboratif, voire addictif, tout en baissant les coûts de production.

Las, le 27 mai, la majorité à l’Assemblée Nationale a rejeté l’interdiction des publicités pour les aliments trop gras, trop riches en sucre ou en sel, et l’étiquetage nutritionnel obligatoire (Nutriscore). Et ce, alors que la nécessité « de limiter l’influence de la publicité et du marketing alimentaire sur les enfants en les réglementant et d’encadrer la promotion des marques associées à des aliments peu favorables au plan nutritionnel » est inscrite dans la stratégie nationale de santé publique 2018-2022 du gouvernement.

Peut-être s’en moquent-ils parce que ça touche principalement les pauvres ? Des études le montrent : le taux d’obésité est inversement proportionnel au niveau socio-économique. En France, on compte plus de 30 % d’obèses parmi les femmes à revenu mensuel inférieur à 450 euros, ce taux chute à 7 % parmi celles qui gagnent plus de 4 200 euros. Cet écart se retrouve chez les hommes, de manière moins spectaculaire mais tout de même : de 23 % à 9 % d’obésité en fonction des ressources financières.

Et ça risque de ne pas s’arranger : on savait déjà que les émissions de gaz à effet de serre, en déréglant le climat, provoquent sécheresses et pluies torrentielles qui menacent les récoltes agricoles, mais ce n’est pas tout : elles risquent aussi d’entraîner des carences en protéines et en minéraux pour des centaines de millions de personnes supplémentaires. C’est une étude de chercheurs de l’université d’Harvard, publiée le 27 août dans Nature Climate Change qui le dit. Leur hypothèse de recherche se base sur une concentration de CO2 de 550 parties par million (ppm), on était déjà en 2016 au niveau record de 405 ppm, et cette concentration devrait grimper à 550 ppm entre 2050 et 2100. Très rapidement on risque donc d’assister à l’appauvrissement d’un grand nombre de cultures de base. Leurs essais sur des plantations à l’air libre indiquent « une réduction de 10 % à 20 % de la teneur en protéines, une baisse de moindre importance des taux de minéraux comme le fer, le zinc, le magnésium ou le calcium, mais aussi, plus récemment, une diminution de 20 % à 40 % pour les vitamines ». Or les végétaux fournissent aujourd’hui 63 % des protéines consommées sur la planète, ainsi que 81 % des rations de fer et 68 % de celles de zinc d’où un risque important d’extension de la malnutrition, alors que plus de 2 milliards d’humains présentent déjà une carence en nutriments. Et comme toujours, ce sont les habitants des pays les plus pauvres qui seront les plus affectés : en Asie du Sud et du Sud-Est à commencer par l’Inde, d’Afrique et du Moyen-Orient où l’apport de protéines est majoritairement d’origine végétale.

Alors… Les belles campagnes des gouvernements successifs « Mangez 5 fruits et légumes par jour » ou « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » pardon, mais ça restera de la méthode Coué et de la bonne conscience gouvernementale sans effet tant qu’on n’aura pas compris là-haut qu’il faut un : lutter contre la précarité, deux : combattre le lobby de l’industrie agro-alimentaire, trois : agir sur les causes du dérèglement climatique.

J’ai consacré ma dernière chronique sur Là-bas si j’y suis à ce sujet, en voici un extrait (et ici en entier pour les abonnés):