Billet publié sur Mediapart le 25 février 2018 : “Laurent Wauquiez et la Chine, le JDD ne regarde pas du bon côté”
Le JDD s’interroge sur « le curieux investissement chinois de Laurent Wauquiez en Chine », et il fait bien. Mais il ne regarde pas du bon côté. Les 5 millions à Cathay Capital sont une paille. Le vrai marché que vise le Président de la Région Auvergne Rhône Alpes à Pékin se compte en dizaine de millions : ceux du ski et des JO 2022… Et donne lieu à un curieux mélange des genres.
Les 5 millions votés par la Région Auvergne Rhône Alpes en mars 2017 vers le fonds d’investissement privé Cathay Capital ont certes de quoi étonner. 5 millions d’argent public investis dans un fonds privé, pour aider les PME locales, c’est surprenant : pourquoi ne pas les aider directement ? Décidément le champion de la « préférence régionale » qu’est Laurent Wauquiez agit parfois curieusement. On se souvient par exemple qu’un marché de la Région avait été attribué généreusement à Facebook, au grand dam de dirigeants de PME numériques locales – Facebook dirigé en France par Laurent Solly, ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy…
Il aurait été intéressant de mentionner également les réseaux d’affaires économico-politiques en France de Cathay Capital et surtout de son médiatique dirigeant, Mingpo Cai. On y trouve par exemple le nom de Bruno Bézard, ancien ambassadeur de France à Pékin, qui a rapidement quitté son poste de chef du Trésor sous la présidence Hollande, après à peine deux ans de service pour filer directement chez Cathay Capital. Ou encore Xavier Fontanet, ancien PDG d’Essilor et soutien d’Alain Juppé, invité en 2013 par Laurent Wauquiez à animer un séminaire de l’UMP sur le campus d’HEC, qui est l’homme qui a obtenu que le FSI, le Fonds stratégique d’investissement créé par Sarkozy en 2008 investisse dans Cathay. Dans l’escarcelle du fonds se trouvent de nombreuses entreprises française : Valéo, Yves Delorme, Mauboussin, Dessange, ou encore la marque Biolane.
Mais surtout, une petite phrase de l’article du JDD aurait mérité d’être développée : celle concernant l’indignation de Laurent Wauquiez quant à la prise de participation du gigantesque fonds chinois Fosun dans la Compagnie des Alpes, détenue à 40 % par l’État français via la Caisse des Dépôts. Elle est à la tête de 11 domaines skiables en France, dont Tignes, Val d’Isère, Les Arcs ou les Deux Alpes – et présente dans deux stations en Chine. Laurent Wauquiez déclarait alors haut et fort son refus “de laisser la Compagnie des Alpes brader les stations de ski françaises aux étrangers”. Il se faisait le relais zélé des acteurs du ski aux intérêts menacés : “La possibilité de l’entrée à son capital du consortium chinois Fosun présente plusieurs risques majeurs pour l’avenir des domaines skiables français exploités par la CDA et inquiète fortement l’ensemble des élus quant à l’avenir économique de leurs territoires“, rejoint par l’ancien ministre et président du département de Savoie Hervé Gaymard, les présidents des département de l’Isère et de Haute-Savoie.
Curieusement, cette indignation aura été de courte durée. Laurent Wauquiez a mystérieusement fait volte-face quelques mois plus tard, en février 2017, à l’occasion d’un déplacement officiel en Chine. Il y assurait alors n’avoir aucune “opposition de principe” : « la seule question, c’est de savoir si ce partenariat permet ou non de développer l’investissement, et d’avoir davantage de touristes chinois” dans les Alpes, ce qu’il reconnaît être une « gigantesque opportunité ». Du coup, il se dit ouvert à un partenariat sur le modèle de celui entre Fosun et le Club Med, tombé en 2015 dans l’escarcelle du fonds chinois.
C’est que le marché chinois du ski est très juteux. En 20 ans la Chine est passée de 10.000 journées skieurs à plus de 20 millions (un quart de l’activité en France), et le gouvernement Chinois a décrété un objectif de 300 millions de chinois sur les pistes de ski. Avec un atout de taille pour booster tout ça : l’organisation des JO d’Hiver à Pékin en 2022. Fabriquer des skieurs, cela demande des investissements colossaux (voir cet ahurissant dôme artificiel de 80.000 m² maintenu à -5°C toute l’année ). Un marché énorme pour les entreprises alpines spécialisées dans les remontés mécaniques par exemple, mais aussi les écoles de ski ou l’enneigement artificiel : la Chine est elle aussi confrontée au réchauffement climatique et aux aléas des chutes de neige insuffisante. Et de la neige, il en faut un sacré volume pour 300 millions de skieurs…
Cela explique peut-être la fréquence des visites et déplacements avec la Chine de la Région Auvergne Rhône Alpes, accompagnée de ses entreprises : en septembre 2016, visite à Lyon du numéro 3 du pouvoir chinois, Dejiang Zhang, durant laquelle Laurent Wauquiez n’a de cesse de promouvoir les « plus belles montagnes d’Europe » en rappelant que « d’ici les Jeux de Pékin, 300 millions de Chinois skieront. Ils ont donc besoin d’énormément de stations et d’équipements. Dans la région, nous avons beaucoup d’entreprises qui peuvent répondre à cette demande. Je pense par exemple à SigmaCabins, qui a fourni 42 % des télécabines chinoises »
En mai 2017, le vice-président de la Région, Etienne Blanc, se rend en Chine pour « soutenir les acteurs régionaux de la montagne et du tourisme pour accéder au marché chinois et attirer, à terme, des touristes chinois dans notre région (…) prendre connaissance du calendrier d’organisation de l’évènement [JO 2022] et des appels d’offres à venir ». La voie avait été ouverte par un déplacement en février 2017 de Laurent Wauquiez lui-même à Pékin et Shangai, en tant que Président de Région, pour « faire connaître l’expertise française en matière d’aménagement en montagne, dans la perspective des Jeux Olympiques de Pékin en 2022 ». Visite des salons ISPO et Alpitec, où il inaugure le « French Village » en compagnie du ministre des Sports Patrick Kanner, entretien avec le Maire de Pékin et soirée à l’Ambassade de France consacrée aux JO 2022, signature d’un accord de coopération entre Chamonix Mont-Blanc et le district de Yanqing, visite de la station de ski de Thaiwoo avec signature de contrats pour la Compagnie des Alpes, le Club Med et POMA, et enfin visite de la nouvelle usine du groupe MND (Montagne Neige Développement).
Dans la délégation, rien de surprenant à retrouver donc Jean-Marc Farini, directeur des projets internationaux de la Compagnie des Alpes déjà très présent aux JO de Sotchi, POMA qui dispose déjà d’une usine à Pékin, a équipé la station de Fulong en télécabines, et décroche 200 millions d’euros pour les remontées mécaniques de la station de Thaiwoo. “Désormais, on regarde les futurs sites olympiques” confirme Jean Souchal, président du directoire. Et pour cause : situé dans la future zone olympique, Thaïwoo prévoit à terme 200 pistes, 45 remontées sur 40 km2. Un chantier à 2,7 milliards d’euros.
Présent aussi aux côtés de Laurent Wauquiez en Chine, Xavier Gallot-Lavallée. Cet entrepreneur à succès du groupe MND est aussi le Président de Cluster Montagne, association qui fait la promotion à l’international des acteurs français de l’aménagement en montagne. Il y a déclaré : « Des rencontres comme celles-ci sont très importantes pour développer nos relations avec les Chinois. C’est maintenant que les marchés sont attribués. Et il y a beaucoup de travail : Pékin veut bâtir 300 nouvelles stations d’ici dix ans ». Xavier Gallot-Lavallée est bien placé pour en parler : « Il y a trois ans, nous [MND] avons ciblé la Chine comme un pays à fort potentiel pour nos activités. Sur trois axes différents : les prochains Jeux Olympiques de Pékin 2022, la montagne en hiver avec le projet des autorités locales de création d’une centaine de stations de ski sur les dix prochaines années, mais aussi sur le développement des activités estivales de montagne en adéquation avec notre expertise loisir-outdoor couplée à celle des remontées mécaniques ».
Et ça paye. Après dix ans de prospection en Chine, son groupe MND est devenu la première entreprise étrangère à s’implanter à Zhangjiakou, futur camp de base des JO via une joint venture avec China Coal Zhangjiakou Coal Mining Machinery (CCZMM) dans laquelle MND déteindra 80% des parts. La joint venture va soutenir la réalisation de remontées mécaniques et l’enneigement artificiel. Le premier contrat concerne l’aménagement d’une station créée ex-nihilo sur un site vierge, Snowland, pour un montant de 110 miilions d’euros sur 3 ans. MND assurera la totalité de l’aménagement du site, avec les remontées mécaniques et 55 km de pistes équipées d’un système d’enneigement artificiel. Autre contrat, une télécabine 8 places débrayable pour la station de Wanlong à laquelle MND a déjà livré 120 canons à neige en 2015.
“L’enjeu est évidemment considérable (…) et le potentiel est délirant” Laurent Wauquiez
On comprend mieux l’engouement de la Région Auvergne Rhône Alpes pour la Chine… Et pour la neige artificielle : 33 millions d’euros d’argent public ont déjà été investis par Laurent Wauquiez en moins de deux ans pour développer la neige artificielle dans les stations des Alpes. De quoi se créer une belle vitrine à direction de la Chine.
S’il est toujours un peu curieux de voir les élus se transformer en VRP, et l’argent public qui manque tant ailleurs aller au soutien d’entreprises privées qui se débrouillent bien par ailleurs, ici le dossier devient franchement gênant. D’autant que cet investissement massif, présenté comme allant dans l’intérêt des Alpes, soulève en réalitéde nombreuses questions : à la fois économiques avec un risque d’endettement des stations (la Région ne prenant en charge qu’une partie du financement) et de l’argent qui n’est pas mis sur la diversification, risques également de voir ces canons à neige qui nécessitent des températures négatives, ne pas fonctionner au vu du réchauffement dans les Alpes, et enfin questions environnementales avec des dispositifs très gourmands en eau et en énergie.
Mais de tout cela il n’est jamais question, et Laurent Wauquiez dispose d’un conseiller spécial délégué à la montagne particulièrement attentif au ski : Gilles Chabert, élu régional, ancien administrateur de la Compagnie des Alpes, et président du très puissant Syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF) qui dirige les ESF. Des écoles de ski déjà en situation de quasi monopole en France, et qui semblent bien décidées à réitérer en Chine : des moniteurs ESF venus de Val d’Isère, La Plagne, Avoriaz ou Chamonix ont déjà commencé à effectuer des aller-retours avec la Chine pour enseigner l’ « excellence à la française » au Club Med de Yabuli (station également équipée par POMA) et désormais, avec l’ouverture du nouveau Club Med, également à Beidahu, dans la province du Jilin. Le tout, avec l’appui de la Compagnie des Alpes qui joue les intermédiaires pour mettre sur pied formations et moniteurs de ski en Chine : « Thaïwoo communique abondamment sur ses équipements français et sur l’inspiration française de son école de ski », comme le souligne Jean-Marc Farini.
Gilles Chabert était aussi naturellement du voyage en Chine avec Laurent Wauquiez. Alors que, sous le coup de soupçons de prise illégale d’intérêts, il a prétendu quitter son poste d’administrateur en raison de son désaccord sur l’entrée de la Chine à la Compagnie des Alpes, « L’homme le plus puissant de l’arc Alpin », selon Hervé Gaymard, se rêverait-il désormais en dignitaire chinois ?