Il se passe des choses bizarres sur la planète en ce moment.
D’un côté la ville du Cap vient d’être déclarée en état de catastrophe naturelle le 13 février dernier, après trois ans de sécheresse, et risque purement et simplement la rupture en eau potable de 4 millions d’habitants.
A l’inverse, de l’eau il y en a trop ailleurs. On a vu les inondations en France, mais surtout en Asie (750 morts l’été dernier au Népal, en Inde et au Bangladesh) ou en Amérique du Sud. De nombreux scientifiques estiment que ces épisodes extrêmes, dus en premier lieu à la mousson, risquent de s’aggraver. Une étude publiée l’an dernier dans la revue Nature Climate Change estime que la fréquence des cas extrêmes d’El Niño doublerait dans l’éventualité d’un scénario à +1,5°C, passant de 5 à 10 événements par siècle. Or on est aujourd’hui selon l’ONU à une prévision de +3°C.
Tout ça nous rappelle que le dérèglement climatique n’est pas un phénomène simple et linéaire : il combine à la fois sécheresses et inondations, des endroits où il fait plus chaud et d’autres où il fait plus froid. Avec la fonte due au réchauffement, la glace de l’Arctique ne réfléchit plus les rayons du soleil, la zone se réchauffe, de l’air plus chaud remonte vers l’atmosphère et pousse cet air polaire vers le Nord de l’Europe et de l’Asie qui peuvent alors connaître des hivers très rigoureux comme en 2005-2006, quand les températures étaient de 10° inférieures à la normale en Sibérie.
Et cette fonte des glaces provoque aussi un important transfert de volume. Selon certains scientifiques, la fonte complète du Groenland élèverait le niveau de la mer de 7 mètres. En plus, les océans se dilatent sous l’effet de la chaleur et au final ces deux facteurs provoquent l’élévation du niveau des mers : + 3,3 mm par an selon les observations satellite.
On est revenu sur les questions que cela pose, et la manière dont les milliardaires espèrent tirer leur épingle du jeu sur Là-bas si j’y suis, dont voici un extrait :
Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), si on continue comme ça, l’élévation du niveau des mers devait atteindre 40 cm d’ici 2100. Mais selon une étude plus récente de la revue Nature publiée en 2016, ce serait beaucoup plus : 1 mètre en 2100 et 15 mètres d’ici 2500.
Voir ici les simulations vidéo de la montée de la mer
Ajoutez à cela l’effondrement du littoral sous certaines mégalopoles notamment en Asie et on en est déjà par exemple à Manille, capitale des Philippines, un niveau de la mer supérieur de 80 centimètres à celui d’il y a 50 ans.
Au total ce sont 634 millions de personnes, soit un 8e de la population mondiale, qui vivent dans une zone à moins de 10 mètres au dessus du niveau de la mer.
Mais certains ont trouvé la parade.
Vous avez remarqué ? Les inondations c’est toujours pour les plus pauvres, ceux qui ont des logements de fortune qui se font balayer par les flots. Les plus riches, eux, sont en train de réfléchir à se mettre à l’abri.
Des îles artificielles, autonomes, échappant à la fois à la montée des eaux mais aussi aux États et aux impôts : selon Reporterre, le Seasteading Institute (TSI) a été créé en 2008 sous l’impulsion des néo-libéraux. Basé à San Francisco, il rassemble parmi les plus grosses fortunes de la Silicon Valley comme Peter Thiel, cofondateur de PayPal, qui a publiquement appelé à voter Donald Trump et fait partie des plus importants financeurs du transhumanisme. Ils viennent de signer un « recueil d’intentions réciproques » avec le gouvernement de la Polynésie française. L’île entièrement artificielle et autonome deviendrait non seulement un refuge pour riches mais également une « zone économique spéciale qui facilitera la création et la gestion d’entreprises ».
Les entrepreneurs de la Silicon Valley ne perdent pas le Nord : non seulement ils se mettent à l’abri de la montée des eaux, mais en plus ils continuent à faire des affaires. Et l’architecte a beau assurer que « On peut très bien imaginer un modèle adapté aux réfugiés climatiques », on a du mal à imaginer ces îles accueillir les 250 millions de déplacés climatiques à venir d’ici 30 ans selon l’ONU.
D’ailleurs sans aller jusqu’à 2050, il suffit de regarder ce qui se passe déjà sous nos yeux. Depuis 2005 on le dit : les Maldives sont menacées de disparaître. En 2009, le gouvernement des Maldives a même envoyé à la conférence sur le climat de Copenhague une photo d’un conseil des ministres, totalement immergé, pour alerter le monde entier.
Et malgré ça, tout continue comme avant. Pire, certains y trouvent leur avantage et la submersion des îles devient même un véritable business touristique : « 5 îles magnifiques à visiter avant qu’elles ne disparaissent ! » voilà comment Le Figaro nous conseille de vite prendre l’avion voir les îles avant qu’elles ne disparaissent… Et Vanity Fair fait encore mieux : 15 îles à vivister de toute urgence !
Rappelons à ce stade qu’un aller-retour Paris-Maldives c’est 3,51 tonne de CO2 par passager, la moitié des émissions annuelles de gaz à effet de serre d’un Français. Et que les 10 % les plus riches de la planète génèrent 50 % des émissions de CO2 mondiales.
Donc si on résume, ce sont les mêmes qui d’une main nous poussent à la consommation pour augmenter leurs profits, consommation à outrance qui génère une grosse partie de la pollution et du dérèglement du climat, et qui de l’autre main préparent leur repli sur des îles artificielles. Au lieu de changer de modèle et d’éviter le pire, ils continuent comme avant en sauvegardant leurs arrières.
J’ai parlé des îles artificielles, mais on pourrait parler aussi de Antonio Garcia Martinez, ex-dirigeant de Facebook, qui s’est acheté un terrain sur une île déserte du Pacifique, équipé en énergie solaire, en armes et munitions. Selon une enquête du New Yorker, plus de la moitié des plus riches Américains auraient déjà prévu leurs arrières en cas de crise.
Plutôt que de tenter d’infléchir la course folle des émissions de gaz à effet de serre, d’imaginer une protection sociale, une solution et des mécanismes d’adaptation collectifs, la réponse qu’apportent ces milliardaires est individualiste. Des bunkers et abris anti-apocalypse de Bill Gates et autres milliardaires « survivalistes », aux dômes recréant artificiellement des écosystèmes, en projet dans plusieurs grandes villes du monde , la question est claire : qui y aura accès ?
Pas nous, pas vous. Alors à défaut d’îles artificielles et de bunkers de riches, il nous reste le nombre. Organisons-nous, nous aussi, mais collectivement. Faisons masse.