Chronique du Diois parue sur Reporterre le 28 mai

Malgré mon appel à l’aide sur les réseaux sociaux – qui a toutefois considérablement enrichi mon catalogue de podcasts sur la collapsologie – je n’ai pas réussi à retrouver cette émission de France Culture entendue distraitement un matin. L’invité y évoquait l’effondrement à venir, l’insécurité alimentaire du monde moderne en soulignant la faiblesse des stocks de nourriture à Paris, et plus généralement la nécessité d’anticiper, en développant les surfaces cultivées, un futur exode urbain vers les campagnes où les populations iraient se réfugier et chercher à manger.

C’est ce que s’attellent à faire Les Jardins Nourriciers dans le Diois. Leur principe : remettre en culture des parcelles délaissées pour créer de l‘activité, augmenter la production maraîchère et l’autonomie alimentaire du territoire. L’idée des Jardins est aussi d’explorer d’autres pratiques, comme cette technique de culture empruntée à la tradition amérindienne qui associe maïs, haricot grimpant et courge, les « trois sœurs » : leur culture conjointe est mutuellement bénéfique, et fait un bel exemple de coopération. « Les plants de maïs servent de treille aux haricots grimpants, et les haricots fixent l’azote bénéfique à la croissance du maïs. Quant aux courges qui rampent, elles protègent le sol contre l’érosion hydrique et éolienne ».

Les chantiers sont ouvert à tou-te-s, débutants comme expérimentés ; chacun arrive et repart selon ses envies et disponibilités. Quatre jardiniers « professionnels » à temps partiel accompagnent les bénévoles, et chaque heure travaillée au champ donne un droit d’accès à des paniers de légumes frais, locaux et bio (l’équivalent d’un gros panier pour une petite demi-journée). Ce qui ne vient pas en contrepartie des heures de bénévolat part en vente directe, comme dans une Amap traditionnelle.

Tout le monde y gagne : les bénévoles bien sûr, qui en plus de leur panier apprennent à jardiner, les propriétaires fonciers dont les sols sont de nouveaux cultivés, selon des principes agroécologiques et de permaculture qui les enrichissent au lieu de les appauvrir. Les autres maraîchers n’ont pas de concurrence à redouter, l’indicateur le plus pertinent en la matière restant les ventes de l’Intermarché : tant que des habitants iront s’y fournir en légumes, on peut considérer que c’est là que réside la concurrence. Mieux encore, ce modèle coopératif pourrait bien permettre à terme de rémunérer tous les acteurs des jardins partagés, dans un contexte où peu de maraîchers réussissent à s’en sortir seuls. On en a vu plusieurs disparaître après des années de travail acharné, totalement découragés. Tous préféreraient largement vivre de leur travail plutôt que de devoir remplir d’interminables dossiers de subvention, la palme revenant à la politique agricole commune, cette fameuse PAC, qui est en train d’accaparer une énergie inouïe en terme de mobilisation.

Bref, on pourrait imaginer à terme un nouveau système coopératif où tout le monde serait gagnant. Bien sûr, l’association n’en est qu’à ses balbutiements, il n’est pas toujours aisé de mobiliser des bénévoles dont ce n’est pas le métier et il y a peu de monde les jours de pluie. Mais c’est une piste, très concrète, pour préparer la suite et mettre toutes les chances de notre côté pour que le prochain gros couac de l’espèce humaine se déroule pacifiquement.

Le jour où l’effondrement aura lieu, d’où qu’il vienne, il faudra commencer par donner à manger à tout le monde. Un supermarché classique dispose d’environ trois jours de stock alimentaire, et ce jour là on sera bien contents d’avoir cultivé les friches encore disponibles en zone rurale. Et si la catastrophe n’arrive pas, rejouons le pari de Pascal : au pire, ces journées passées face à la montagne à couver du regard de jeunes plants, à tisser la serre de fils solides en prévision des pluies, à partager quelques amandes et des astuces de jardiniers les pieds dans la gadoue, n’auront pas été vains. Ces moments rincent l’âme, et nous rappellent que nous sommes des Terriens.

Comme le dit Bruno Latour, il est temps de faire passer la question existentielle du lien à la Terre au niveau des luttes sociales telles qu’elles se sont développées depuis la fin de la guerre ; l’écologie comme le social sont liées à la remise en cause du capitalisme et à la construction des communs. Pour lier les deux, Bruno Latour invite à reconsidérer la notion de territoire et à la réinvestir : au retour à la terre pétainiste, substituons le retour de la terre progressiste. Il existe mille manières non réactionnaires d’appartenir à un territoire, d’y goûter, de s’enraciner : le jardinage nourricier en est un, et cela pourrait bien être une des conditions pour savoir « Où atterrir », demain.