Je vous ai souvent parlé ici du combat historique pour l’hôpital de Die, de la fermeture de la maternité que nous n’avons pas réussi à éviter, du décès tragique du petit Aimé et enfin, il y a un peu plus d’un an, du projet de déménagement de l’hôpital et des trois hectares à sauver.
Depuis, les choses n’ont guère évolué, ou plutôt si, elles se sont accélérées en direction de l’artificialisation de trois hectares de terres arables, pour un bâtiment neuf mais sans moyens supplémentaires, et avec de nombreuses questions soulevées qui ne trouvent pas de réponses. Voici donc le courrier qui vient de partir à l’Agence régionale de santé Mission 26/07 et à la Direction du Centre hospitalier de Die, pour tenter de contribuer et faire enfin bouger les choses dans le sens d’un débat argumenté.
Courrier 28MF_2020.10.21Hopital de Die
Hôpital de Die (Drôme) : déménager ou rester, à quel prix ?
Madame, Monsieur,
Voilà des années, dans le Diois, que la question de l’hôpital n’en finit plus de nous brûler, de nous émouvoir et de nous mobiliser. Le débat est signe de vitalité, mais il suppose qu’aux questions posées et aux arguments soulevés, des réponses soient apportées.
Commençons par un rappel succinct des faits. L’Agence Régionale de Santé (ARS) a promis au centre hospitalier en novembre 2017, au moment de la fermeture de la maternité et de la chirurgie, une participation de 12 millions d’euros pour la construction de nouveaux locaux. Un terrain a été acquis par l’ARS à ces fins, sur trois hectares arables en contrebas de Die. Le projet est d’y construire un nouveau bâtiment, en remplacement de l’hôpital existant situé en centre-ville.
Ce projet soulève de nombreux problèmes auxquels il n’est apporté aucune réponse depuis des mois, malgré les questions posées par le Collectif de défense de l’hôpital, des personnels de santé, des paysans, commerçants, experts naturalistes, quelques élus du territoire et de nombreux habitant·es. Le silence qui leur est opposé empêche d’étudier les différentes alternatives, il empêche la tenue d’un débat démocratique et ne peut que soulever l’émoi.
L’intérêt général nécessite de voir au-delà des murs. Étant entendu que le bâtiment actuel ne peut être conservé en l’état et que l’amélioration des conditions de travail et des soins apportés n’est pas négociable, voici quelques questions qui ne peuvent être ignorées.
D’un point de vue financier : La première des choses serait de savoir combien coûterait la rénovation du bâtiment existant. Un état des lieux a-t-il été réalisé, un architecte mandaté, les personnels consultés sur ce diagnostic ? Que permettrait de couvrir la somme de 12 millions si elle était affectée à l’amélioration du fonctionnement actuel : rénovation, embauches, matériel ?
D’un point de vue sanitaire : On le voit chaque jour depuis le début de la pandémie en France, la qualité des soins n’est pas qu’une question d’organisation, mais aussi de moyens. Or le déménagement est censé se faire à budget de fonctionnement constant. Au vu des conditions de travail déjà difficiles, on imagine mal comment l’augmentation de lits, prévus semble-t-il pour passer de 25 à 30, pourrait représenter une amélioration à effectifs constants.
D’un point de vue démographique : Le nouveau bâtiment serait labellisé « hôpital de proximité », ce qui suppose selon le Code de santé publique qu’il n’exerce pas d’activité de chirurgie ni d’obstétrique et que l’activité de médecine n’excède par un seuil plafond. Comment, dans ces conditions, gère-ton l’augmentation probable des besoins, au vu de l’évolution de la population ? Des éléments de prospective démographique ont-ils seulement été étudiés ?
D’un point de vue économique : Le départ de 300 emplois pèserait lourdement sur un centre-ville et des commerces déjà sinistrés. Cela aurait un coût aussi, qui ne rentre pas dans les 12 millions de l’ARS. Par ailleurs, en cas de déplacement, quel usage serait fait du bâtiment actuel ? A qui appartiendrait-il ? Quels seraient alors les coûts de rénovation et de changement d’affectation pour l’utilisation future et qui, concrètement, serait capable de prendre en charge de tels montants ?
D’un point de vue agricole et environnemental : Alors que la préservation du foncier agricole est une préoccupation majeure et que tous les signaux sont au rouge en matière de climat et de biodiversité, bétonner trois hectares est une décision à rebours de toutes les recommandations. Les impacts de l’artificialisation définitive de trois hectares de terres arables ont-ils été pris en compte ? Où sont l’étude d’impact environnemental et l’inventaire de la biodiversité du site visé ? L’intérêt public, en 2020, ne peut être d’artificialiser des terres quand on peut rénover du bâti existant.
D’un point de vue humain : On ne peut qu’être inquiet de l’isolement subi et de l’impact de ce déménagement sur les patients et résidents de l’EHPAD transférés en zone artisanale, sans possibilité de se rendre à pied au centre-ville.
D’un point de vue démocratique, enfin : Suite à l’action portée par le Collectif pour la défense de l’hôpital auprès du Tribunal administratif, le Conseil de surveillance de l’hôpital a dû se prononcer sur la demande de renouvellement des autorisations de fonctionnement de la maternité et de la chirurgie. Les représentants élus des Diois·es, la Maire de Die et le Président de la Communauté des communes du Diois, ont voté « pour » la demande de renouvellement. Mais ces deux voix sont minoritaires et la demande a été rejetée. Si ce n’est par le suffrage universel, comment la population va-t-elle exercer son droit à être associée et entendue ?
Cette question de l’hôpital agite le Diois et ce légitimement, car les enjeux sont lourds et nous concernent toutes et tous. Il est encore temps et absolument indispensable d’apporter des réponses et de débattre publiquement avant toute action irréversible. Faute de quoi toute décision sera perçue comme illégitime et ne pourra qu’encourager la discorde, à un moment où nous n’en avons vraiment pas besoin. Cela ne devrait pas poser de grand problème ni d’importants délais : il est impensable que le projet ait été décidé sans que ces éléments aient été étudiés. Il suffit donc, à qui les détient, de les communiquer. Puis de faire confiance à toutes les intelligences pour imaginer en commun l’hôpital de demain, renouvelé, ouvert, en centre-ville et au service de tou-tes.
Avancer dans l’opacité n’est jamais une bonne idée. Surtout quand cela touche aux questions de santé, de vie, de conditions de travail et d’environnement, et un budget d’argent public aussi important.
Dans l’attente de vos réponses et en me tenant à votre disposition pour la tenue d’un débat public,
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations respectueuses.
Corinne MOREL-DARLEUX, Conseillère régionale de la Drôme