Petite série de textes “dans le sillage de Moitessier”, à l’occasion de la Golden Globe Race. Quatrième volet.

L’association Participe Futur et son voilier Alcyon font partie des très belles découvertes suscitées par “Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce”. J’ai reçu un jour une lettre manuscrite de son Président Jacques Landron, qui a navigué avec Bernard Moitessier et dispense encore des cours de navigation au sextant et tables de calcul à bord d’Alcyon. Recevoir ce courrier fut une grande fierté pour moi, je l’ai soigneusement conservé.

Comme me l’écrit Sylvie Loignon, co-fondatrice de l’association qui œuvre à ses côtés, “ce n’est pas un hasard si notre voilier Alcyon dispense l’éthique selon Bernard, la voile accessible au plus grand nombre, le contact direct du marin avec les éléments et la simplicité des manœuvres à bord.” Alcyon navigue pour la préservation des océans et leur biodiversité et Jacques Landron, me dit-elle encore, “ne cesse depuis 40 ans de mobiliser et de transmettre aux plus jeunes le respect des éléments qui nous entourent, et en particulier ceux de la mer. Le voilier Alcyon reste le laboratoire idéal de l’esprit d’équipe face aux adversités dans ce milieu immense que sont les océans suggérant la vie, le rêve, les rencontres et souvent l’humilité lorsque la mer devient hostile et capricieuse par les vents qui soufflent fort.”

Aussi, lorsqu’en avril 2022 ils m’ont demandé si j’accepterais de rédiger un texte de soutien à l’expédition Fata Morgana 2023, je n’ai pas hésité. Le voici. Il est également sur le site du projet Fata Morgana 2023 où vous trouverez plus d’informations. Et, si nous n’avons pas encore réussi à l’organiser, j’ai bon espoir de monter à bord avant le départ pour l’Arctique…

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Texte de soutien à l’expédition Fata Morgana

Huit mois en mer, de Marseille jusqu’au plus grand fjord du monde, au Groenland… Que d’élan contenu dans cette seule phrase ! Sentez-vous la puissance de soulèvement de ces quelques mots, le cœur qui se gonfle et tempête, les poumons qui s’emballent d’air frais, la sensation grisante du vent, des poings serrés sur les cordes, le regard rincé et les lèvres salées ?

Je défie quiconque de rester insensible à cette évocation, et c’est pour moi déjà une raison en soi de soutenir l’expédition. Il n’y a pas tant de belles épopées modernes aujourd’hui, pour nous permettre encore de nous évader et nous emporter dans un tel tourbillon, même par substitution. Or qui n’a jamais rêvé de larguer les amarres et de goûter au tumulte des lames iodées en laissant loin derrière le fracas de nos sociétés étouffées de mercantilisme et de toxicité ? De préférer la conversation des mouettes au petit oiseau bleu des réseaux saturés, de mettre un coup de canif dans la toile des conventions, de faire un pas-de-côté, hors des parcours contraints et réglés…

Huit mois en mer, c’est la formidable aventure qui attend l’équipe de Fata Morgana. L’expédition scientifique s’est donné pour mission d’approfondir notre connaissance des milieux marins, des biotopes océaniques, des cétacés et de tout ce qui les menace dans nos activités, de les faire connaître dans toute leur beauté. Et, parce qu’on ne défend bien que ce qu’on a appris à aimer, d’ainsi mieux les protéger. Elle partira en mars 2023 à bord de l’Alcyon, un voilier conçu loin des affres de la course et de la modernité pour être en contact direct avec les éléments ; un ketch plein de légèreté, simple à manœuvrer, dans l’esprit de Bernard Moitessier.

L’Alcyon s’élancera tout juste 54 ans après le geste, si fort qu’il résonne encore, du grand marin. Son refus de parvenir et sa dignité, celle de renoncer à la compétition qui oppose et piétine, aux victoires insensées et aux honneurs empoisonnés. Après huit mois en mer, après avoir franchi les trois caps légendaires de Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn, Bernard Moitessier aurait pu gagner. Mais après des jours de conflits intérieurs sur le cap à tracer, il expédiera depuis son voilier, à l’aide d’un lance-pierre, ce message sur la passerelle d’un pétrolier : « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme. »

Nous ne sauverons pas le monde, du moins pas dans son entièreté et je ne sais pas ce qu’il en est de nos âmes, mais nous pouvons encore sauver notre dignité, cette marge humaine que défendait Romain Gary. Dans un quotidien dont il est souvent difficile de s’extraire, dans un flot d’absurdités qui laisse peu de place à l’émerveillement, la simple existence de cette expédition nous permettra de continuer à rêver, le sourire aux lèvres, et d’agir dans un élan renouvelé.

Fata Morgana, c’est le nom que les anciens ont donné au phénomène de mirage qui s observe en mer dans les latitudes arctiques et antarctiques. Un mirage qui doit s’entendre ici non comme une illusion qu’il faudrait alimenter mais comme l’utopie que permettent de tisser de nouveaux horizons et comme une éthique, celle du savoir partagé, de la simplicité et de l’action.