Chronique publiée sur le quotidien de l’écologie en ligne Reporterre le 13 novembre
Le milieu montagnard est déjà affecté par le changement climatique. La fusion de l’Auvergne et de Rhône-Alpes crée la première région montagneuse d’Europe. Il est urgent que le politique s’investisse pour en préserver les richesses naturelles et humaines.
Automne. Le temps est au glanage en montagne : champignons pour l’omelette et pommes de pin pour le feu. Entre deux tourbillons de campagne, je prends le temps de monter sur la crête de Desse dominée par les vautours ou vers la Croix de Justin et sa vue imprenable sur le Diois. Le temps de caresser la mousse et de prendre le vent dans les cheveux.
On y grimpe en tentant en vain de ne pas déraper sur le sol glissant,
couvert de feuilles mortes, qui à l’ombre ne parvient pas à sécher,
malgré le beau temps. On s’étonne de voir à quel point les sangliers ont
retourné la terre. On aperçoit quelques minuscules oiseaux qui
s’échappent sans un son, et même encore quelques papillons. On
s’inquiète d’être en manches courtes en plein mois de novembre, en se
demandant si c’est uniquement un été indien, comme il y en eut déjà, ou
si c’est un signe du réchauffement du climat. En montagne, la question
du temps qu’il fait prend un relief particulier. Parce qu’ici, une
grande part de l’activité dépend des saisons, que ce soit pour
l’agriculture ou pour le tourisme. Un hiver sans neige ne vaut pas mieux
qu’un printemps sans pluie ou un été caniculaire. La neige, c’est
l’assurance, à la fonte des glaces, du ruissellement vers la vallée et
de réserves d’eau pour l’année. C’est aussi les sports d’hiver, le ski
dans les petites stations du Vercors, les mushers et les sorties en
raquettes sur le plateau.
Le climat, ce n’est pas que des chiffres obscurs
Et la montagne, c’est aussi le lien, un des seuls de cette fusion bâclée, qui unit les deux régions qui vont se rassembler en janvier : Auvergne et Rhône-Alpes vont devenir la première région montagneuse d’Europe. Or, les prévisions des météorologues indiquent que d’ici à 2030, il n’y aura plus de neige dans le Cantal. Dans le massif du Sancy, dans le Puy de Dôme, un accompagnateur en montagne m’a expliqué que le trolle d’Europe, une renoncule, est remontée de 250 mètres en altitude en 24 ans. Ici, dans la vallée de la Drôme, ce sont les chenilles processionnaires qui s’installent durablement. De l’autre côté du Rhône, les châtaigneraies d’Ardèche sont menacées.
Le climat, ce n’est pas que des chiffres obscurs, comme on le perçoit à l’approche de la COP 21, ce sommet qui se tiendra à Paris en décembre. On nous ensevelit de pourcentages, de taux d’émissions de gaz à effet de serre, d’années de référence et d’horizons qui varient sans cesse, entre 2020 et 2050, d’objectifs qui passent subrepticement de 1,5 à 2 °C et ne signifient rien pour la grande majorité des gens.
Quelques degrés de plus pour la planète : 1.5, 2 ou 5 °C, ça ne
signifie rien à hauteur d’homme. Et pourtant, c’est comme une fièvre :
quand on passe de 37 à 39 °C, on sent la différence et chaque dixième de
degré supplémentaire compte. Faute de comparaison sur une échelle
humaine, le message d’alerte a du mal à passer et se trouve dépassé par
l’urgence sociale. 2050, quand la fin du mois avec son cortège de
factures à payer est si proche, ça semble bien loin. En revanche, les
effondrements rocheux qui explosent dans les Alpes sont déjà bien
visibles, eux. Les décalages de récolte aussi. Tout comme l’arrivée de
nouvelles maladies dans les cultures, ou le recul des glaciers. Ce ne
sont pas des dates et des chiffres, ça ne se passe pas à l’ONU mais ici
et maintenant, concrètement. Et c’est scientifiquement démontré, la
montagne est plus touchée par le réchauffement : 2 °C de plus en
moyenne, cela signifie 4 °C de plus en montagne. Insoutenable.
L’absurde folie des canons à neige
Alors, face à la menace climatique, certains investissent. Dans des canons à neige, comme à Super-Besse en Auvergne, cofinancés par la région. Des canons à neige qui pompent davantage encore dans les réserves en eau et dans les caisses publiques, provoquant un endettement colossal pour les stations. Car tout le monde le sait, qui plus est dans une station située à seulement 1.200 m et orientée au Sud : ces canons à neige ne seront vraisemblablement jamais amortis. Ils participent d’une nouvelle forme d’obsolescence programmée. Tout comme ces dispositifs fiscaux dits « Censi-Bouvard », qui favorisent les « lits froids », ces appartements qui ne sont occupés en montagne que quelques semaines dans l’année. Cet argent ne serait-il pas mieux employé à aider la diversification en montagne ? À aider les stations à développer d’autres activités toute l’année, et à encourager le tourisme d’été comme beaucoup ont commencé à le faire. À filer un coup de pouce financier aux porteurs de projet qui sont prêts à s’installer et à créer des emplois et de l’activité dans ces zones de montagne ?
La loi Montagne a 30 ans, son acte 2 se met en place mais ressemble déjà, hélas, à un couteau sans lame. Quid de la vulnérabilité de ces territoires au changement climatique, du vieillissement de la population, de la fermeture des exploitations agricoles, de la disparition des services publics ? Quid de la banalisation de la culture montagnarde, qui perd, en l’absence de transmission, ses valeurs essentielles d’harmonie avec la nature tout autant que de culture du risque ou de gestion des biens communs, souvent vitaux en altitude ? Quid des moyens alloués en pleine cure d’austérité ? Comme souvent, cela arrange les parlementaires du PS ou de l’UMP de ne voir que la dimension technique ou environnementale de la montagne. Cela leur évite d’avoir à repenser leur approche de la fiscalité comme cela leur évite aussi de se poser la question des aides publiques subordonnées à des critères et celle du maintien des services publics de proximité. Mais une politique humaine et responsable de la montagne ne peut se résumer à la fuite en avant de la course à l’équipement pour un enneigement artificiel ni à promettre un parc naturel régional, une zone Natura 2000 ou un espace naturel protégé, sans avoir ensuite le courage de le défendre quand il est menacé. Les politiques manquent à leur responsabilité s’ils ne tiennent pas compte des habitants, présents et futurs, et de leurs activités. S’ils ne se fixent pas comme objectif de bien vivre en altitude ou en zone reculée.
Tout est lié, et la politique des canons à neige n’est pas à la
hauteur de l’enjeu. C’est une politique à courte vue qui ne rend service
à personne. Ce dont nous avons besoin, c’est d’élus qui maîtrisent les
réalités spécifiques de ces espaces, qui vivent la montagne et la
ruralité – dont les enjeux sont souvent liés, et en imposent la
transversalité dans l’ensemble des politiques régionales : pour qu’y
subsistent des lycées professionnels, que des aides à la diversification
des cultures agricoles prémunissent mieux les paysans contre les aléas
climatiques et sanitaires, que la région lutte contre la disparition des
services publics de proximité et la désertification, en reprenant par
exemple la main sur les dispositifs d’installation-transmission qui ont
été totalement délégués aux chambres d’agriculture, qu’elle impose un
rapport de force et sa volonté politique à la direction de la SNCF pour
maintenir les lignes ferroviaires locales.
La question de la montagne est transversale
La montagne abrite une biodiversité essentielle, en faune et en flore, elle est un espace de régulation climatique et représente des réserves majeures d’eau, de bois, de minéraux… Elle est un espace à caractère à la fois singulier et universel. Son histoire est forte des maquis de la résistance, le Vercors résonne encore des hôpitaux improvisés à l’abri des rochers. Son présent et son avenir concerne tous les habitants, qu’ils nichent près des sommets ou au creux des vallées. Elle doit être l’espace-temps qui nous permette de réapprendre la coopération entre les territoires.
Formation, tourisme, agriculture, préservation des zones fragiles, éducation à l’environnement, solidarité territoriale : la question de la montagne est transversale. À Grenoble, depuis 2014, un élu de la mairie y est dédié. Pourquoi pas, dans notre future région, une vice-présidence de plein exercice qui y soit consacrée, avec des comités de massif élargis et démocratisés, en les ouvrant davantage aux associations et en associant davantage les citoyens à leurs travaux ? Il est urgent de faire de la montagne une nouvelle opportunité, pour éviter qu’elle ne finisse pas au musée. Et il n’y a aucune raison pour que ça ne fonctionne pas : parce qu’on en a les ressources naturelles et humaines.
Il ne manque plus que la volonté.