Voici le début de mon entretien, disponible en intégralité pour les abonnés, sur le média “Les Jours” qui suit depuis quelques semaines l’excellente “obsession” de François Meurisse sur l’effondrement : des brèves de fin du monde quotidiennes pour s’informer, des entretiens et un vendredi culture fait de musique et de littérature. C’est à la fois grave et léger, ça change des essais et articles compassés, bref : une jolie manière d’aborder le sujet.
Dans ce long entretien, il est question de collapsologie, de risques de dérive libérale et d’écologie radicale, de Deep Green Resistance et d’Extinction Rebellion France, mais aussi de fiction qui décadre, de Rollerball à L’An 01 de Gébé en passant par la Horde du Contrevent de Damasio.
Extraits :
“Il faut mettre en place des stratégies pour préserver ce qui doit l’être dans la civilisation telle qu’on la connaît… mais il faut aussi se préparer à ce que ça ne suffise pas. Et donc imaginer des stratégies d’adaptation beaucoup plus radicales. (…) réinjecter du politique, de l’action collective, dans des auditoires parfois d’abord mus par des ressentis individuels. (…) J’ai l’impression qu’on est passés en quelques mois du déni collectif à « Tout est foutu, y’a plus rien à faire » ! Entre les deux, la phase des efforts politiques, l’action militante, etc., c’est passé à la trappe. (…) Des gens comme Pablo Servigne et d’autres ont apporté un formidable coup d’accélérateur. Ça fait venir plein de gens, ça foisonne. La question, c’est : quel parcours de formation et de radicalisation politiques mettre en place pour que ça débouche sur de l’action collective ?”
“La fiction, c’est pas de la prophétie, c’est du décadrage. Il devrait y avoir un temps de lecture obligatoire pour tous les politiques ! C’est ce qui nous permet – et je crois que c’est de ça dont on a besoin aujourd’hui – de sortir d’un système de valeurs et de schémas de pensée qui sont aujourd’hui obsolètes.(…) Les mythes de la croissance économique et du progrès ont atteint leur seuil de contre-productivité. (…) On a besoin de passer un cap, qui n’est pas de l’ordre de la marche, mais du pas de côté, à la manière de Gébé et de L’An 01. (…) On a besoin de nouveaux récits, de courage, d’engagement, de loyauté pour construire ce nouveau système. Mais une culture de résistance n’a d’intérêt que s’il y a une résistance.”
« L’effondrement est de plus en plus réel, de plus en plus tangible »
Les Jours·Mardi 29 janvier 2019
Pour faire face à la fin du monde, l’ex-Insoumise Corinne Morel Darleux se nourrit de fiction et défend une écologie radicale. Entretien.
Nous sommes sur le « Titanic », la mort de notre civilisation nous fait face. La faute au changement climatique, à l’extinction de la biodiversité, à la raréfaction du pétrole… Cette obsession s’intéresse à l’effondrement d’un monde, le nôtre, au pourquoi, au comment, à l’après : nouvel épisode.
Propos recueillis par François Meurisse – Photo : Christophe Stramba-Badiali/Haytham/Réa
Nous sommes bientôt en février 2019 et notre civilisation tient, bon an mal an, toujours debout. Les prédictions d’Yves Cochet (lire l’épisode 1) menaceraient-elles… de s’effondrer ? Pas si vite. Nos « mauvaises nouvelles planétaires » quotidiennesdessinent tout de même un panorama peu réjouissant, entre bestioles qui disparaissent (lire l’épisode 9), fuite en avant pétrolière et inconséquence politique (lire l’épisode 14). Et encore, on vous a épargné les chauve-souris décimées, les glaciers qui reculent en Asie et dans le monde, les poissons d’eau douce retrouvés morts, les records d’éclairs et même le destin de George l’escargot. Pas d’erreur, c’est l’horreur.
Face à ce spectacle, les hommes politiques ne devraient-ils pas adapter leurs réponses en conséquence ? C’est ce que défend Corinne Morel Darleux, conseillère régionale Parti de Gauche en Auvergne-Rhône-Alpes. Celle qui a porté le positionnement « écosocialiste » du Parti de Gauche dès sa fondation en 2008 – et été secrétaire nationale chargée de l’écologie – a finalement quitté La France insoumise en novembre dernier. Aujourd’hui, elle s’intéresse à des mouvements écologiques plus radicaux et participe à de nombreux événements publics autour de l’effondrement. Son objectif : réinjecter du politique, de l’action collective, dans des auditoires parfois d’abord mus par des ressentis individuels. Pour cela, elle dispose d’un vecteur puissant : la fiction, qu’elle soit littéraire ou cinématographique.
Comment, en tant que femme politique, êtes-vous arrivée à la notion d’effondrement ?
Depuis dix ans, je suis les négociations climat, les rapports scientifiques sur le sujet, l’actualité liée à la biodiversité et l’action politique qui en découle – ou plutôt qui n’en découle pas. J’ai l’impression d’avoir assisté à la dégradation de la situation d’un point de vue géophysique et à une succession de gouvernements (Sarkozy, Hollande, Macron) qui ne prennent aucune des mesures qui devraient s’imposer. Du coup, il y a un an et demi, j’ai commencé à discuter avec des philosophes, des historiens, des anthropologues, des scientifiques, qui dessinaient les contours de quelque chose de transdisciplinaire autour de l’effondrement. J’ai rencontré Christophe Bonneuil qui s’occupe de la collection Anthropocène au Seuil et pas mal de ses auteurs, notamment Pablo Servigne.
Ça a été un bouleversement ?
Non, cette notion d’effondrement n’a pas révolutionné grand-chose dans ma manière d’aborder les choses. Dans une vie précédente, j’ai été consultante pour de grandes entreprises du CAC 40, Total, Sanofi, etc. Je faisais de la conduite de projets et donc de l’analyse de risques. Il s’agit de prendre en compte à la fois la probabilité qu’un événement destructeur pour le projet arrive mais aussi sa criticité. Là, c’est un peu la même chose : la probabilité est de plus en plus importante et la criticité aussi. Aujourd’hui, pour moi, l’effondrement, c’est de plus en plus réel, de plus en plus tangible. Il y a donc un devoir de lucidité (…)