Dans les “Cartouches n°39” de la revue Ballast, ma contribution sous forme de chronique d’une Robinsonade post-apocalyptique parmi de nombreuses munitions pour l’esprit : “le goût des cerises, une Terre sans oiseaux, une expérience du monde, la frénésie contemporaine, un paysage balafré, un Nietzsche à deux visages, un rêve américain brûlé, une géographie libertaire, les femmes de la guerre, la vie polaire et l’exil“…  

Trois fois la fin du monde, de Sophie Divry

C’est là une robinsonnade contemporaine à la fois dure et belle, pleine d’amour et de rage. Trois tableaux, un personnage. L’écrivaine Sophie Divry nous propulse dans la tête de Joseph Kamal à son arrivée en prison. Le récit est raide, sans complaisance : des cellules surpeuplées, un quotidien fait d’aléatoire et de promiscuité. La tension carcérale est toxique, la violence dans toutes les veines. Joseph va d’abord y perdre sa dignité, puis son empathie. C’est la première fin du monde : un condensé du pire des sociétés humaines, une étape préliminaire. Joseph en sort brisé. Deuxième acte, la catastrophe vient d’avoir lieu. On en sait peu, juste qu’elle est d’origine nucléaire. Tout s’est effondré, la prison comme la moitié de l’Europe. Joseph s’en sort et décide de se réfugier dans la zone interdite. Réveil du misanthrope qui sommeille en chaque lecteur : l’homme est enfin seul, libéré de ses congénères et des entraves de la société. Il dispose de maisons désertées et de supermarchés ; tout lui appartient désormais : le fantasme de l’abondance sans la société. Joseph va s’y construire une nouvelle vie. Sans êtres humains mais non sans compagnie : animaux, rivière, champs et forêt… Joseph explore son nouveau territoire, apprend à l’habiter et, en y cherchant les moyens de sa subsistance, l’apprivoisera tout autant qu’il se laissera apprivoiser. Il y a de l’Enfer et de l’Éden dans Trois fois la fin du monde. De la solitude, entre luxe et calvaire. De la communion avec la nature. Des déconvenues et de la joie à redécouvrir les saisons, de la peine et des satisfactions au travail de la terre, des attachements profonds qui sauvent comme ils désespèrent. En alternant récits et monologues, par ses changements de rythme littéraire, Sophie Divry réussit une fiction à la fois nerveuse et sensible, et revivifie le pourtant très abondant registre « post-apo » du dernier Homme sur Terre en l’ancrant dans l’intime et le réel. Une pépite. [C.M.D.]  

Éditions Notabilia – Noir sur Blanc, 2018