Chronique publiée dans le magazine Imagine de novembre – décembre 2021.
Photographie prise lors d’un atelier avec de jeunes étudiants en art, CPES-CAAP du lycée Arsonval de Brive, en 2020.

Rien d’étonnant à ce que les jeunes soient saisis de désarroi devant le chaos environnemental. Comment ne pas l’être, quand on est à l’orée de sa vie d’adulte, pas encore blasé, embrigadé ni coincé dans de multiples contraintes, que tout est encore questionnable et que les échéances qui semblent lointaines à certains, qui ne seront plus là, représentent concrètement l’année où vous fêterez vos 40 ans ?

Un sondage l’a confirmé, avec une ampleur plus critique encore que ce qu’on imaginait. 10 000 jeunes de 16 à 25 ans, dans dix pays, y ont répondu. Le résultat est atterrant. Les trois-quarts jugent le futur « effrayant ». Plus ils sont pauvres et vivent dans des pays exposés, plus ce sentiment est répandu : 92 % aux Philippines. Quatre-vingt-douze pourcent ! Au final, pour plus d’un jeune sur deux interrogé, « l’humanité est condamnée ».

Ajoutez à cela le covid, et le résultat obtenu est dramatique. De plus en plus de jeunes ne veulent pas avoir d’enfant, ne croient plus à un avenir meilleur ; la courbe du « progrès » s’inverse pour eux et ils ne font plus confiance aux gouvernements : les deux-tiers d’entre eux se sentent ignorés, abandonnés, et estiment que les États « mentent concernant l’impact de leurs actions » sur le climat.

L’éco-anxiété risque d’ancrer de nombreux jeunes dans un présent sans avenir, qu’illustre bien le YOLO (« you only live once »). Le passé disparaît, avec l’accélération technologique et la perte croissante de liens inter-générationnels, de savoirs manuels et traditionnels pourtant susceptibles de pallier les pénuries à venir. Qui se souvient encore qu’Internet est apparu il y a moins de trente ans ? L’amnésie environnementale, où chaque génération considère comme état initial d’un écosystème celui qu’il a connu depuis sa naissance, s’étend à l’amnésie démocratique, culturelle ou sociale. Qu’auront à aimer et défendre, dans quinze ans, les enfants qui grandissent entourés de masques et d’écrans ?

Il faut d’urgence désincarcérer ce futur, celui que les jeunes auront à construire, qu’ils ont commencé à échafauder : car au-delà de l’effroi, tout ça les remue. D’où l’essor, depuis trois ans, des mouvements de jeunes pour le climat mais aussi, dans les entreprises, d’un nombre croissant de jeunes diplômés qui ne veut plus faire n’importe quoi, remet en cause les « bullshit jobs » et va parfois jusqu’à la démission avant de se reconvertir.

Comment les accompagner au-delà du cynisme politique, du désarroi des parents et, jusque dans les fictions qui leur sont destinées, au-delà des dystopies et du sadisme ? Alerter avec lucidité mais sans décourager ni paralyser, parler aux enfants des risques d’effondrement sans leur fermer l’avenir, est aussi délicat que nécessaire. La fiction, la culture peuvent nous y aider je crois. En posant des mots sur le monde pour mieux comprendre ce qui nous arrive, en proposant des scénarios qui activent, des utopies qui ne soient ni niaises ni naïves, en menant la bataille culturelle, volet complémentaire et indispensable à la résistance et aux alternatives.

Rapport au vivant, mémoire et transmission, légitimité de la désobéissance civique, réhabilitation de la gentillesse et de la solidarité… La littérature jeunesse a beaucoup à offrir. Comme le formulait René Char, tout ne doit pas se borner à écrire des poèmes, « ce serait dérisoirement insuffisant », mais l’imaginaire ne doit pas être négligé. Le film Top Gun, en 1986, a provoqué une hausse de 500 % des vocations de pilote. Ça vaut le coup d’y méditer…