Chronique pour Imagine, parue dans le numéro de mars-avril et mise en accès libre sur le site ici.

Je suis tombée récemment sur un badge vantant la gentillesse comme choix punk. Une affirmation surprenante, tant l’image du punk est associée à des épingles rouillées sur des tee-shirts lacérés, à des allures gothiques aux crêtes agressivement érigées. J’exagère à peine, tapez « punk » dans n’importe quel moteur de recherche d’images, c’est l’apocalypse.

Ce côté totalement contre-intuitif me plait. J’aime bien ce qui n’est pas là où on l’attend. Et je dois dire que j’ai de plus en plus envie de gentillesse. Envie et besoin.

Est-ce un effet de l’âge, qui lasse des querelles et des entourages toxiques, repus de conflits, pour chercher la douceur ? Mais on a tous mille exemples de vieilles personnes rassies, dispersant leur aigreur sans merci.

Un signe des temps, alors ? Il est vrai que la période n’est pas avare de polémiques et de conflits, forts de cette capacité à peine croyable à s’écharper pour un rien. Pendant que des tarés attaquent des migrants à coup de sabre, que des forces de l’ordre embarquent les victimes dans une confusion ahurissante du discernement, que des abominations sont proférées sur les plateaux télévisés sans que personne ne moufte, que de jeunes gens sont lynchés et leur intimité exposée sur les réseaux, et qu’on décède désormais dans les couloirs des urgences de maladies bénignes, faute de moyens. Oui, il y a de quoi ressentir le besoin d’un peu de douceur. Las, face à l’envie légitime de se divertir de ces cortèges d’atrocités, on est bien en peine de trouver autre chose, dans la fiction récente, que des récits du quotidien se faisant le reflet et l’écho de ce qu’on cherche à fuir.

Des libraires me disent régulièrement leur difficulté à répondre aux lectrices et lecteurs à la recherche d’un « bon roman » qui console et repose. Pas simple en effet de dénicher un livre dans lequel ne figure pas un viol, un crime d’inceste ou des manipulations sadiques. J’avoue en être lasse.

La réalité m’offre déjà plus que son lot d’inhumanité et quand je me tourne vers la fiction, c’est pour m’en éloigner, pas pour y replonger. Alors je vais puiser ailleurs, dans les années trente pour le cinéma, du côté des « screwball comedy », d’Ernst Lubitsch et de Frank Capra, de la littérature victorienne de la fin du dix-neuvième, de Jane Eyre à Anna Karénine. En me disant que finalement, c’est la nouvelle traduction Des grandes espérances de Dickens que j’avais le plus envie de lire à la rentrée littéraire, et la réédition de Anne de Green Gables que j’ai le plus envie d’offrir.

L’apologie du dur-à-cuire

Prôner la gentillesse, ce n’est pas s’aveugler sur la violence qui nous entoure mais au contraire la reconnaître pour ce qu’elle est, une monstruosité, et refuser de s’y laisser entrainer. J’y vois une manière de résister au courant boueux qui charrie le cynisme généralisé, l’anathème débridé et l’apologie du dur-à-cuire. La gentillesse, tissée de l’exigence de ne sombrer ni dans la mièvrerie ni dans l’irènisme, se situe tellement à contre-courant des deux tendances opposées du moment, la dangereuse fascination du méchant et la mode du yogi résilient, qu’elle en devient… punk je ne sais pas, mais subversive, oui, potentiellement.

Et c’est sans doute une des raisons de l’essor des perspectives écoféministes, qui ménagent une place rarement éprouvée dans les milieux radicaux au soin, à l’attention et à la joie. Gentilles mais pas connes, en somme.

Au siècle dernier, Chris Marker définissait l’humour comme « la politesse du désespoir ». Les raisons de désespérer grandissant, il devient difficile d’en rire, mais il est encore possible de faire assaut de gentillesse, cette élégance de l’âme, pour contrer l’absence d’avenir.