Très envie de vous donner des nouvelles de cette mission en Tunisie, mais je désespère de trouver un moment calme pour en faire le récit, et pourtant… Je sais qu’il faut le faire maintenant, tant que je suis encore imprégnée de cette chaleur humide, de ces odeurs qui me rappellent avec tendresse les étés gamine en Kabylie, de cette effervescence de colloques, de visites et de réflexions sur le Maghreb et le Moyen-Orient. D’expérience, je sais que sitôt rentrée en France j’enchainerai, et je ne trouverai pas le temps. Je le vois bien, je trimballe de train en chambre d’hotel mes notes de ce colloque à Delphes en Grèce, sans avoir réussi à en faire un billet, depuis un mois maintenant…
Alors je profite d’une pause de fin de journée, ce moment où l’air semble presque frais par la fenêtre ouverte sur l’avenue Bourguiba, avant de repartir pour un diner politique au quartier de la Goulette avec Riyad ben Fadhel, le coordinateur de al-Qotb, un des partis du Front Populaire. Celui-ci en comporte neuf et dispose de quinze parlementaires. Comme notamment le Courant populaire qui nous a invité à ces cérémonies de commémoration de l’assassinat de Mohamed Brahmi, qui était un de ses députés, ou encore al-Qotb, le Pôle, dont un camarade, Lotfi ben Aissa, est venu m’accueillir à l’aéroport de Tunis mercredi dernier. Deux jours… Et depuis, le temps s’est accéléré.
Dès notre arrivée nous sommes allés visiter l’exposition hommage à Mohamed Brahmi, à quelques pas de l’hotel, en plein quartier protégé proche du Ministère de l’Intérieur et de l’ambassade de France. Les rues sont désertées par les touristes. La semaine dernière, me raconte Mouna Mathari de al-Qotb, un jeune a fait exploser un pétard dans une galerie marchande, créant un véritable “tsunami” me dit-elle : chaises et tables de terrasse renversées, les gens affolés courant le long de l’avenue.
L’ambiance est calme ce jour là, et pourtant la violence est présente, en frémissement. Peut-être la ressentons-nous particulièrement à travers les craintes que nous éprouvons pour notre camarade Hamma Hammami, le porte-parole du Front populaire. Après les assassinats de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi en 2013, à son tour d’être ciblé. Une vidéo de Daech rendue publique la semaine dernière le désigne, avec trois autres personnalités tunisiennes. On retrouve pourtant un Hamma facétieux à l’exposition, qui s’approche de notre responsable Maghreb-Machreq du PG, Alain Billon, par derrière pour le surprendre en lui bandant les yeux des deux mains, comme un gamin.
Mais c’est redevenu tout à fait sérieux qu’il nous explique que le bruit d’un chargeur qu’on arme a été entendu à proximité de son domicile la nuit précédente. Et le voir circuler dans une voiture aux vitres opacifiées, quand à côté de ça il se mêle à la foule sans aucune retenue, à peine protégé, c’est… Une grande leçon d’humilité. Ici à Tunis, entre les barbelés de la place, on se dit que résister et militer n’a pas partout les mêmes implications et on se prend comme une grosse dose salutaire de rappel des faits. Une des raisons pour lesquelles je plaide pour que nos camarades partent le plus souvent possible voir la vie ailleurs. En Palestine, en Amérique du Sud, au Moyen Orient… Se frotter à d’autres cultures politiques n’est jamais du temps perdu et permet de retrouver le sens des priorités.
Cela permet aussi de mesurer, au-delà des singularités de chaque pays, tout ce qui nous rapproche. Ici en Tunisie, les parlementaires du Front populaire sont en première ligne pour mener la bataille contre certains aspects du projet de loi sécuritaire du gouvernement : définir le terrorisme, refuser d’en profiter pour amnistier les fautes du passé, faire un recours en constitutionnalité pour garantir l’indépendance du futur conseil supérieur de la magistrature… Comme ils le disent eux-mêmes, le Front populaire est aujourd’hui la seule digue d’opposition démocratique qui résiste encore et continue de faire vivre l’esprit de la révolution citoyenne qui a présidé au lancement de l’assemblée constituante en 2011. Parmi les rares à demander inlassablement que toute la lumière soit faite sur les assassinats, et que tous les coupables, acteurs directs comme financeurs et commanditaires, soient jugés. Dans ce combat, la députée Mbarka Brahmi, veuve de Mohamed Brahmi, est de tous les fronts et nous passerons beaucoup de temps avec elle aussi tout au long de cette mission.
La question du terrorisme est évidemment au coeur du colloque auquel nous participons le jeudi matin, et c’est aussi naturellement sur ce sujet que nous répondons aux questions d’une chaine de télévision. Alain, Cathy et moi sommes les seuls français, et d’ailleurs les seuls européens également, dans ce programme qui réunit des militants et personnalités venus d’Algérie, de Lybie, d’Egypte, de Mauritanie, de Palestine, de Turquie, du Liban… A ce titre, on nous plaisante gentiment sur la venue il y a quelques jours de Nicolas Sarkozy qui a fait une sortie délirante sur le fait que la Tunisie n’aurait vraiment pas de chance avec ses frontières, coincée entre l’Algérie et la Lybie. Effet garanti. Et franchement, on a beau ne pas se sentir solidaire, au nom de la France on ne se sent quand même pas fier. Pas tellement moins d’ailleurs que de la politique actuelle de la France, alignée sur les positions atlantistes de l’Otan. Là encore, on ne peut pas dire que l’arrivée de François Hollande ait provoqué le moindre changement…
La suite au prochain coup de vent.