« Nous ne voulons pas d’un Center Parcs à Roybon en Isère » : voici le titre explicite de notre lettre ouverte d’élus et de responsables associatifs (Confédération paysanne, Federation de la pêche de la Drôme, PCSCP) à la Ministre Royal au sujet de bulles tropicales, de rivières et d’aides fiscales…
Publiée dans Les invités de Mediapart le 18 mai.
Madame la Ministre,
Vous avez déclaré à plusieurs reprises vouloir « faire émerger des
projets qui rassemblent, et non imposés ». Vous évoquiez encore au mois
d’avril dernier, votre scepticisme quant au projet d’aéroport de
Notre-Dame-Des-Landes. C’est pour vous saisir d’une question qui relève
du même schéma, bien peu rassembleuse et ô combien imposée que nous
prenons la plume aujourd’hui .
Il s’agit du projet d’implantation d’un Center Parcs à Roybon, dans la
forêt des Chambaran en Isère. Celui-ci n’est d’ailleurs pas le seul
endroit concerné : c’est également le cas du Rousset ou de Poligny en
Bourgogne Franche-Comté. Quel que soit le lieu, le principe est le même :
l’entreprise Pierre & Vacances choisit une zone rurale et projette
d’y construire un centre de vacances pouvant accueillir quelques
milliers de personnes avec cottages individuels et bulles aquatiques
chauffées à 29°C.
A Roybon, ce projet de centre de vacances signifie la destruction de 200
ha de zones humides ou boisées et de nombreux cours d’eau des bassins
versants. En effet, ce massif constitue une réserve d’eau de grande
qualité qui alimente, notamment, la plaine de Valence et des dizaines de
milliers d’habitants. Il entraînerait également la mise en péril, voire
la destruction, de 37 des espèces protégées recensées sur le site.
L’eau et la qualité de l’environnement dont elle dépend sont des biens
communs inestimables. C’est pourquoi de nombreuses associations et
collectifs citoyens se sont saisis du dossier. Le 16 juillet 2015, grâce
à leur travail approfondi, les travaux ont été stoppés sur décision du
Tribunal administratif de Grenoble qui a reconnu le projet de Roybon
incompatible avec la loi sur l’eau, confirmant ainsi les avis émis par
le rapporteur public et les trois commissaires enquêteurs publics
missionnés par le tribunal administratif. D’autres recours sont encore
actuellement examinés.
Au delà des aspects juridiques, c’est le modèle même de ce type de
projets imposés sur nos territoires qui interroge sur la cohérence entre
les politiques publiques et la réponse aux défis climatique et social
auxquels nous devons faire face de manière urgente.
A l’heure où la lutte contre le dérèglement climatique est une priorité,
que penser des « bulles tropicales » chauffées à 29°C toute l’année ?
Et s’il n’y avait que les bulles… Un Center Parcs est un gros émetteur
de gaz à effet de serre : pour le site prévu en Saône-et-Loire au
Rousset, l’étude réalisée dans le cadre du débat public a évalué son
bilan carbone à 10.500 tonnes équivalent CO2 ce qui englobe sa
construction, sa consommation d’énergie lors de l’exploitation, les
déplacements des clients…
A l’heure où la préservation de la ressource vitale en eau est plus que
jamais un enjeu non seulement de santé publique, d’autonomie alimentaire
mais aussi de paix, que penser de sa mise en péril ?
A l’heure où la crise de l’emploi attend une réponse durable, que penser
de la politique de Pierre & Vacances qui multiplie les CDD, les
temps partiels subis et les emplois précaires ? Une entreprise qui perd
de l’argent (27 M€ net en 2014), maintenue sous perfusion d’argent
public : pour ce seul projet de Roybon, le financement public est
évalué à 112 millions d’euros, avec le financement des voiries et les
allégements fiscaux.
Le seul bénéficiaire de cette opération s’avère être Pierre &
Vacances, car contrairement à ce que disent ceux qui soutiennent le
projet, l’entreprise n’apportera pas de prospérité économique sur le
territoire : au mépris de l’environnement et en concurrence directe avec
l’activité locale existante, elle se contente d’engranger des
financements publics pour réaliser des plus-values sur la vente des
cottages. Chaque terrain est acheté 30 centimes le mètre carré, et
revendu 18 euros le mètre carré. Est-ce vraiment là une priorité
budgétaire pour nos collectivités ? Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Décision du tribunal administratif de Grenoble, destruction
environnementale, régression sociale : il est d’autant plus effarant au
vu de ce constat accablant de voir la Région Auvergne-Rhône Alpes voter
4,7 millions d’euros de financement public pour le projet de Center
Parcs de Roybon comme elle vient de le faire à l’occasion de sa session
du 14 avril dernier.
Aujourd’hui, nous nous adressons à la Ministre de l’environnement et à la Présidente de la COP 21.
Nous devons répondre au défi climatique planétaire. Chacun doit y
prendre sa part. Cela peut commencer par l’abandon de ces projets
couteux et destructeurs dont fait partie celui de Roybon. Nous vous
demandons, Madame la Ministre, d’entendre nos interrogations.
Alors que le chômage et la précarité continuent d’être une source de
misère sociale grandissante dans notre pays, dès 2013, une étude du
Crired, confirmée depuis par l’Ademe, démontrait que la mise en œuvre
d’un scénario volontariste de transition énergétique pourrait créer
jusqu’à 240.000 emplois équivalent temps-plein en 2020 et 630.000 en
2030.
La préservation de la nature et le développement de l’économie ne sont
pas antinomiques. Remédier à ce grand malentendu est indispensable et
serait source de réconciliation locale. Nous sommes convaincus que
notre avenir économique passe par la prise en compte des enjeux
climatiques et environnementaux : rénovation thermique et recherche
d’économies d’énergie, développement des énergies renouvelables,
développement des réseaux de transports en commun, relocalisation de
l’économie, développement de l’agriculture paysanne, économie circulaire
et réduction des déchets sont autant de secteurs d’activité qui peuvent
s’avérer de formidables opportunités économiques tout en étant utiles à
la satisfaction des besoins humains.
C’est donc, Madame la Ministre, guidés par un sens aigu de l’intérêt
général et une analyse réaliste de la situation actuelle, mais aussi par
l’espoir d’être enfin entendus que nous attirons votre attention
aujourd’hui. En tant que Ministre et représentante de l’Etat, vous êtes
garante de la solidarité nationale et de l’intérêt général. Nous
connaissons votre attachement aux questions environnementales : en plus
de présider la COP21, vous avez été à plusieurs reprises Ministre de
l’écologie. C’est pourquoi nous espérons que vous saurez examiner avec
bienveillance les arguments qui nous conduisent à vous demander de
mettre un coup d’arrêt à ces projets du passé qui détruisent nos
territoires. Préserver la forêt des Chambaran dont dépend la ressource
en eau, serait adresser un signal fort à l’ensemble de nos concitoyens,
donnant crédit et sincérité aux engagements pris à Paris lors du sommet
de la COP21.
Comptant sur l’attention que vous porterez à notre courrier, nous vous
prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre
considération.
Les signataires :
Myriam Laïdouni Denis, Conseillère régionale (Rassemblement Citoyen Ecologiste et Solidaire) Auvergne Rhône-Alpes (Isère)
Corinne Morel Darleux, Conseillère régionale (Rassemblement Citoyen Ecologiste et Solidaire) Auvergne Rhône-Alpes (Drôme)
Véronique Vermorel, Conseillère départementale de l’Isère, Présidente du groupe Rassemblement des citoyens Solidarité Ecologie
Marc Revol Buisson, Président de l’association « Pour des Chambaran sans Center Parcs »
Christian Brely, Président de la Fédération de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique de la Drôme
Isabelle Douillon,Co-secrétaire générale de la Confédération paysanne Auvergne Rhône-Alpes
Marie-Pierre Répécaud, Membre du CA, pour la Confédération paysanne de l’Isère
Vincent Delmas, Porte-parole de la Confédération paysanne de la Drôme