Depuis mon retour de Turquie, je cherche à comprendre, à approfondir ce que je n’ai fait qu’effleurer du doigt là-bas. Comme si une partie de moi refusait de quitter Diyarbakir et d’oublier les combats.

Je n’arrive pas à lâcher le Kurdistan. Je veux aller voir ce qui se passe dans les monts Sinjar en Irak, au Rojava autonome en Syrie. Croiser les réalités, puiser à différentes sources, écouter, toucher, observer, et essayer de contribuer…

Je crois qu’on ne peut plus regarder tout ça de loin. Parce que les meutriers de Daech (1) recrutent et frappent ici aussi, parce que le combat des unités kurdes en Syrie est le nôtre. Parce qu’il est au cœur des enjeux géostratégiques de toute la zone, entre Turquie, Syrie, Iran et Irak (Lire à ce sujet « La carte et le territoire : le moment kurde » par Caroline Galacteros, journaliste).

Mais aussi, même si on en entend moins parler, parce que la structuration idéologique du mouvement kurde s’est faite sur des principes fermes et constitutifs d’émancipation, de laïcité, de féminisme et d’écologie. Je vous invite à lire à ce sujet le « contrat social » de la Région autonome du Rojava, un texte à vocation constitutionnelle qui affirme la souveraineté populaire, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’égalité hommes-femmes, la richesse publique que sont les ressources naturelles et le droit à vivre dans un environnement sain.

Une charte remarquable, qui fait écho naturellement dans mon esprit à notre travail sur le Manifeste pour l’écosocialisme et le processus d’assemblée constituante qui irait de pair avec une sixième république, de jour en jour plus nécessaire.
 

Article 2 a- L’autorité réside dans et émane du peuple des Régions Autonomes. Elle est exercée par les conseils gouvernants et les institutions publiques élus par le vote populaire.

b- Le peuple constitue l’unique source de légitimité de tous les conseils gouvernants et des institutions publiques, fondés sur les principes démocratiques essentiels pour une société libre.

Article 23 a – Toute personne a le droit d’exprimer son identité ethnique, culturelle, linguistique ainsi que les droits dus à l’égalité des sexes.

b – Toute personne a le droit de vivre dans un environnement sain, basé sur l’équilibre écologique.

Article 28 Hommes et femmes sont égaux aux yeux de la loi. La Charte garantit la réalisation effective de l’égalité des femmes et oblige les institutions publiques à travailler à l’élimination de la discrimination entre les sexes.

Article 39 Les ressources naturelles, situées au-dessus et en dessous du sol, sont la richesse publique de la société. Procédés d’extraction, la gestion, les licences et autres accords contractuels liés à ces ressources doivent être réglementés par la loi.

Article 92 a) – La Charte consacre le principe de la séparation de la religion et de l’Etat.


S’intéresser au peuple Kurde c’est, de rencontres en lectures, au fil des documentaires, se faire happer dans une découverte sans fin, les yeux écarquillés devant ces unités féminines de protection du peuple du YPJ, en première ligne du front en Syrie. Des combattantes fières et dignes, mais aussi effrayantes aux yeux des guerriers de l’Etat islamique depuis que Daech a émis un décret postulant que tout homme tué par une femme irait en Enfer…

Fascinée par l’incroyable maturité de ces gamines lors de leurs premier entrainement, à les suivre dans la découverte du maniement des armes, leur détermination et leur ironie mordante dans le magnifique documentaire « Sa guerre à elle : les femmes contre l’Etat Islamique ».

Intriguée par ces séminaires montagnards dans le Qandil de « rééducation » volontaire d’hommes qui se sentent pris dans la nasse du patriarcat et souhaitent s’en défaire. Sans commentaire…

Curieuse d’en savoir plus sur le confédéralisme démocratique de Murray Bookchin, adopté comme fondement idéologique via la figure tutélaire du PKK, Abdullah Öcalan dit Apo, incarcéré en Turquie depuis 1999 (2).

Il faut regarder « Kurdistan, la guerre des filles », le documentaire de Mylène Sauloy, pour voir à l’oeuvre des pratiques démocratiques et autogestionnaires à faire pâlir de jalousie tous les Nuitdeboutistes de la Terre, écouter ravie ces « amazones post-modernes » s’inspirer de Rosa Luxemburg, et de la flamboyante Emma Goldman, découvrir leurs ateliers de lecture autour d’ouvrages de John Keane et Noam Chomsky, et les entendre déclarer que « l’écologie ce ne sont pas seulement les arbres, c’est aussi l’égalité dans la société (…) nous voulons une société écologique démocratique ».

Découvrir le mouvement Kurde, c’est enfin se surprendre à retrouver un brin d’espoir quant à l’avenir au Moyen-orient… Mais il reste tant à lire, tant à voir et à découvrir (2). Et je vais malheureusement rater cette belle programmation du séminaire d’écologie sociale qui se tiendra à Lyon fin Mai. Je serai au même moment à Tunis, pour les premières rencontres de l’édition arabe du Monde Diplomatique, pour y parler d’écosocialisme Méditerranéen, en fin de compte pas si loin…

En revanche je ne raterai pas le 13 juin le Festival du Centre démocratique du Kurdistan à Marseille : j’y interviendrai aux côtés du député du HDP Faysal Sarıyıldız, élu de Sirnak, tout près de la frontière avec la Syrie et l’Irak. Nous y rendrons compte de la situation politique en Turquie, et dialoguerons autour de l’écosocialisme et du municipalisme libertaire. J’en suis ravie. D’autant que j’aime beaucoup la “déglingue culturelle” comme nouvelle question transclassiste, j’avoue.

Je serai également à l’inauguration de la représentation du Rojava le 23 mai à Paris, après Moscou, Stockholm et Berlin. Un moment important.

Et bientôt, je l’espère, là-bas, de nouveau.

Illustrations tirées des deux documentaires cités « Sa guerre à elle : les femmes contre l’Etat Islamique » et « Kurdistan, la guerre des filles » de Mylène Sauloy

Notes :

(1) Sur Daech, son recrutement et ses désertions, je vous recommande vivement le documentaire diffusé sur Arte : « Daech, paroles de déserteurs » de Thomas Dandois et François-Xavier Trégan, ainsi que l’entretien avec David Thomson : « Tuer pour exister, et mourir »

(2) Restent notamment dans mes onglets ouverts :

Ecologie sociale « Du municipalisme libertaire au Kurdistan »

Ballast « Bookchin, Ecologie radicale et municipalisme libertaire »

Orient xxi « Le mirage toujours vivace de l’indépendance Kurde »

Et sur la table du salon, le DVD du film « Carnets d’un combattant Kurde » de Stefano Savona