Des brebis au théâtre, la bonne vie humectée par un verre de Clairette

Chronique publiée sur Reporterre le 20 mai 2015 
 

De Mâcon à Perpignan, en passant par Paris et Clermont, il y a toujours quelqu’un pour évoquer Die et sa fameuse Clairette. Mais ce coin de la Drôme est aussi connu pour sa transhumance et ses festivals. Une guirlande d’événements culturels qui se déploie autour des marchés artisanaux, du théâtre ou du cinéma de la ville, et permet de faire vivre un véritable écosystème de culture populaire.


Corinne Morel Darleux

De Mâcon à Perpignan, en passant par Paris et Clermont, partout où je me déplace quelqu’un connait Die.

A Grenoble, c’est un célèbre humoriste qui y a passé son permis de conduire à 18 ans alors qu’il travaillait dans un élevage de chèvres pour se faire un peu d’argent. A Mâcon, c’est toute la salle qui s’agite en riant quand je dis que je viens de Die : un monsieur vient de soulever son pull pour montrer son t-shirt, décoré d’un mouton dessiné par F’murr, le dessinateur de BD qui a si bien croqué la brebis d’ici façon Génie des Alpages. Dans les Pyrénées Orientales encore, le camarade qui m’héberge me raconte autour d’un café-tartines qu’il a passé toutes ses vacances d’été en famille dans la vallée et me parle de l’ancien garagiste, de la cave coopérative, des baignades d’été. Dans le Gard, un couple de militants me glissent ravis en fin de débat qu’ils viennent chaque année en camping-car dans le Diois…

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Transhumance et festivals

Dans le palmarès des images associées à ce petit coin de la Drôme, la Clairette détrône tout, reconnaissons-le. Mais suivent très rapidement la beauté des paysages, la transhumance et les festivals. En somme de quoi faire un apéro contemplatif et culturel avec vue sur les estives. Je trouve que ça sonne pas mal.

Car en fait tout est lié, et le Diois fonctionne comme un écosystème. L’exemple le plus frappant est sans doute la fête de la transhumance qui aura lieu cette année le 20 juin. A cette occasion, les bergers conduisent leurs troupeaux à travers la ville avant de rejoindre les estives du plateau du Vercors où les bêtes pâtureront tout l’été. C’est un véritable déferlement de brebis et de moutons dans les ruelles, assez impressionnant et franchement réjouissant. Même les plus cyniques se laissent aller en souriant.

Et c’est tout une guirlande d’animations culturelles, gastronomiques, artisanales et touristiques qui se noue autour du défilé du troupeau, et qui lance la saison d’été. Tout ceci est orchestré par l’association qui gère aussi le théâtre municipal de Die, en délégation de service public. La même équipe qui organise également le Festival Est-Ouest, conçu au moment de la guerre froide pour rapprocher peuples et cultures, ou encore les Espiègleries de Die, le festival de la fameuse Clairette.

Et les éleveurs qui font aller leurs moutons sur les placettes de Die le 20 juin sont ceux-là même qui vendent leur fromage sur le marché les samedi et mercredi matin toute l’année. Ce joli marché sur sa place de carte postale qui passe de quelques étals l’hiver au quintuple l’été, mais où l’on trouve encore, coincés entre les vendeurs de saucissons en gros et les tee-shirts de Bob Marley, fromages locaux et produits maraichers bio. Et ces fameux picodons des bergers, donc, qui vient leur acheter ? Les viticulteurs de Clairette, pardi. Ceux du festival. Et aussi les artisans qui exposent au marché des potiers pendant ce même festival. Eleveurs, viticulteurs et potiers, réunis de fêtes en marchés…

Tous se retrouvent au théâtre

Mais continuons de dérouler ce joli fil, car ce n’est pas fini : non contents de se retrouver dans les rues lors de la transhumance, du festival de la Clairette et au marché, tous ces gens aux parcours différents, du néo-rural au petit-fils de résistant, se retrouvent également au théâtre. Car ce point de ralliement culturel, non seulement organise les festivals en question, mais accueille aussi les spectacles de fin d’année de leurs enfants et les soirées cabaret de leurs anciens, pour lesquelles un minibus va chercher les personnes âgées dans leurs villages plus reculés, pour que tous puissent écouter, s’amuser, écarquiller les yeux et s’évader un peu.

Voilà pourquoi, quand le théâtre se retrouve en difficulté, on se retrousse les manches pour le sauver. Voilà pourquoi, quand l’inénarrable Kate du cinéma d’art et d’essai le Pestel part en retraite et qu’on parle d’un gérant de multiplexes, tout Die s’inquiète. Car j’aurais aussi pu parler, tout au long de cette chronique, de cette petite salle de cinéma connue elle aussi dans toute la France des réseaux d’art et d’essai. Plus qu’un cinéma, un lieu empli de débats avec ses séances du dimanche matin assorties de café et de croissants, sa programmation faite chaque semaine de quatre films : deux sorties nationales « grand public », un film pour enfants et une pépite comme seuls les cinéphiles savent les dénicher… Un lieu de rencontres à la fois exigeant et convivial, à taille humaine.

Aujourd’hui, le théâtre a été labellisé scène régionale Rhône-Alpes, le cinéma a trouvé un repreneur motivé dans la lignée de Kate et la Clairette coule à flots.

C’est aussi ça la culture au concret en zone rurale. Pas juste un supplément d’âme, mais un lien qui unit les générations, potiers et éleveurs, ville et hameaux, montagne et vallée, fromage et apéro. Un véritable écosystème de culture populaire, avec son économie circulaire où tout se tient, du plateau à la cave. Tchin.


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Source et photos : Corinne Morel Darleux pour Reporterre

. Photo sculpture : Wikimedia commons (Saruman/Domaine public)