Chronique publiée le 4 mai sur Reporterre
Une citation attribuée au stoïcien Sénèque postule que « la vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie ». Plus le climat se dérègle et plus on sent qu’on apprendrait vite. L’été dernier, la sécheresse est devenue si critique que je me suis même vue, moi la cartésienne, effectuer quelques pas de danse improvisée dans mon jardin pour appeler la pluie.
Quand je vivais à Paris, la pluie était pourtant pour moi synonyme d’un gris maussade, d’une humidité pénible qui vous poursuit toute la journée, de feuilles mortes glissantes et de marche hâtive jusqu’à la bouche de métro, tête baissée et col relevé. Comme j’ai toujours eu les parapluies en horreur, je finissais immanquablement avec une casquette poisseuse jetée en vrac dans mon sac qui semblait ne jamais vouloir sécher. Bref, comme beaucoup de personnes, je n’aimais pas la pluie.
Je continue à être une fille de l’été, des verres de rosé en terrasse, du vrombissement des bourdons et des bouquets de cosmos épanouis en pagaille dans le jardin. Mais depuis quelques mois, je me surprends à guetter la pluie et à éprouver un soulagement quand les nuages s’amoncellent enfin sur les montagnes. À voir dans la pluie non plus un élément capricieux et enquiquinant, mais un vrai principe de vie.
La préciosité de l’eau
La sécheresse est devenue un état quasi permanent dans la Drôme. La rivière, certains étés, après avoir traversé deux départements sur un parcours de 110 kilomètres, n’arrive même plus à se jeter dans le Rhône. Cette année, le sol argileux a commencé à craqueler dès février et quand enfin il a plu un peu, des vents violents, trois jours durant, sont rapidement venus tout assécher. En ce mois d’avril, le niveau des nappes phréatiques est bas et le sol sec. Et tout le monde attend, compare les sites de météo, agrège les prévisions et se tient prêt.
Car quand la pluie est annoncée, il faut se hâter de planter qui son gazon, qui sa lavande — de très petits plants qui sont perdus s’il ne pleut pas dans la semaine qui suit. Et c’est ainsi qu’on se retrouve à vivre le nez levé, à suivre la trajectoire des nuages, à maugréer quand ils vous tournent autour pour finalement tomber au loin, provoquant de gigantesques rideaux de ciel délavé quand votre coin de vallée reste désespérément sec.
La préciosité de l’eau, mise en lumière dans le paradoxe de l’eau et du diamant énoncé par Adam Smith (« Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange »), est en train de devenir douloureusement évidente. Pour les paysans au premier chef, mais aussi pour tous les habitants, ceux craignant les feux qui ravagent forêts et habitations comme ceux commençant à se trouver privés d’eau potable.
Des villages de Haute-Saône, d’Isère ou de Haute-Savoie ont déjà dû être ravitaillés par des camions-citernes. Les tensions se multiplient autour des projets de retenues collinaires, ces réserves d’eau artificielles qui permettent de stocker l’eau pour les besoins des agriculteurs (ou des canons à neige) mais empêchent qu’elle ruisselle jusqu’aux nappes phréatiques. Tout le monde veut de l’eau et il n’y en aura pas pour tout le monde.
Les effets du dérèglement climatique, on le sait, ne sont pas simples ni linéaires. Dans le cas de la pluviométrie, celle-ci reste pour l’instant sensiblement la même, mais s’échelonne de manière beaucoup plus irrégulière : il va soudain tomber beaucoup de précipitations d’un coup, puis plus une larme pendant des semaines. Cela ne résout rien alors au phénomène de sécheresse et pour peu que les vents s’en mêlent, le sol devient vite dur comme le caillou. Alors, quand la pluie tombe de nouveau, elle a plus de mal à pénétrer ce sol devenu roc et peut rapidement former des torrents qui dévalent les routes, déstabilisent les fondations sur leur passage, ruinent les cultures qui avaient survécu et risquent in fine de déboucher en crue avec les catastrophes qu’on a vues dans la vallée de la Roya. Et là, la pluie, on la maudit.
Une calamité semi-permanente
Le Larousse définit la calamité comme un « malheur public, infortune qui atteint une région, un groupe d’individus ». Le gel qui vient de saisir les bourgeons d’un printemps trop précoce, ruinant des récoltes entières de fruits et de vignes, est une calamité. La sécheresse qui pointe et laisse prévoir un été rude est d’ores et déjà une calamité annoncée. Les feux de forêt aussi, qui ont déjà dévasté en avril des hectares entiers, en Haute-Loire, dans la Drôme ou en Ardèche, provoqués là par un accident de tronçonneuse, ici par des écobuages mal maîtrisés.
Après les énormes averses de grêle de juin 2019, les chutes de neige dévastatrices sur des arbres encore en feuilles en novembre 2019, les « épisodes » de sécheresse qu’on ne compte plus, sans parler de la pullulation des campagnols encouragés par la baisse des prédateurs naturels et de la recrudescence de maladies sur les élevages et les végétaux, pour n’évoquer que le secteur agricole, tout semble indiquer que nous entrons en régime de calamité semi-permanent.
Face à cela, les mesures d’aides mises en place par les politiques publiques (retenues d’eau, bougies pare-gel, filets anti-grêle, confinement aviaire ou aides exceptionnelles), ce n’est pas prévenir. C’est — au mieux — prémunir et ce n’est jamais, si tant est que cela soit encore possible, guérir. De même que le sentiment d’apocalypse permanente que les agriculteurs commencent à ressentir relève de moins en moins de la météo, mais du climat. Et que ce n’est pas de la faute de la pluie, de la neige ou de la grêle qui, elles, n’ont ni intention, ni intérêts à préserver, ni leviers pour agir. La colère peut et doit monter contre l’indigence coupable des politiques au pouvoir, cette calamité bien humaine… Mais il faut continuer à aimer la pluie.