Nouvelle chronique à voir sur La-bas si j’y suis, consacrée aux coulisses d’un objet devenu incontournable en quelques années : le Smartphone.
On ne peut plus faire un pas dans le métro, dans la rue, au restau ou au cinéma sans voir des doigts pianoter sur l’écran lumineux. Même en pleine messe… (“Posez ces téléphones !” : le coup de gueule du pape François) En 10 ans, 7 milliards de smartphones ont été produits dans le monde. Une belle concentration d’énergie grise, de terres rares, de 40 minerais différents : or, tantale, tungstene, cobalt, étain… mais aussi de fraude fiscale et de conditions de travail scandaleuses. Tout ça pour finir dans des décharges illégales en Chine ou en Afrique, après seulement 20 mois en moyenne d’utilisation selon l’Ademe, deux fois moins chez les jeunes…
Alors soyons clairs : il ne s’agit pas ici de culpabiliser les propriétaires de smartphones, moi-même c’est mon outil de travail et je serais bien mal placée pour donner des leçons. En revanche on ne va pas me gêner pour en donner aux producteurs. Parce que eux ont les moyens de changer leurs méthodes de production, eux ont les ressources pour le faire quand on voit les dividendes dégagés par des firmes comme Apple au Samsung qui sont les deux gros leaders du marché aujourd’hui en France et dans le monde : Samsung dégage 16 milliards de bénéfices nets, Apple marge à 40 %.
De l’argent ils en ont, quand il s’agit de lancer à grand renfort de publicité et de marketing le tout dernier iPhone X ou Galaxy 7 (j’ai peut-être raté quelques numéros). De l’argent ils en ont d’autant plus que Apple est un des champions de l’évasion fiscale. Avant même les fameux Paradise Papers, Apple était mis en demeure par l’Union européenne de payer à l’Irlande, où se situait le siège de la firme, 13 milliards d’amende pour impôts non payés. Ça n’a pas freiné Apple qui a déposé un recours auprès de la Cour de justice européenne et, l’Irlande ayant été obligée de mettre fin à ses techniques d’évasion fiscale en 2014, a déménagé dès l’année suivante, de l’Irlande à Jersey, un autre paradis fiscal bien connu. Gain du transfert : 110 milliards d’euros qui échappent à l’impôt aux États-Unis. Avec les “Paradise Papers” on sait désormais que c’est un cabinet international d’avocats basé aux Bermudes qui a conseillé ce judicieux et juteux transfert à Apple.
Mais chez Samsung ce n’est pas mieux. Un rapport de la Confédération syndicale internationale (CSI) publié en octobre 2016 « Samsung : une technologie moderne, des conditions de travail médiévales » les a épinglés en 2016 pour fraude fiscale et corruption. Sans parler des conditions de travail : je reviens de Corée du Sud où j’ai rencontré des travailleurs de Samsung, ils racontent des conditions de travail absolument scandaleuses. Samsung va jusqu’à leur demander de travailler chez eux plutôt qu’à l’usine histoire de libérer de l’espace, et c’est ainsi qu’ils se retrouvent à manipuler des matières toxiques sans aucune protection. Alors fatalement arrive ce qui devait arriver : de graves maladies professionnelles, des leucémies, et même des décès : 112 selon l’association Sharps, rien que pour la branche Samsung Electronics.
Et naturellement Samsung interdit aux travailleurs de se syndiquer (un droit pourtant garanti par la constitution sud-coréenne) et refuse d’indemniser les victimes. Et quand un travailleur commence à protester un peu trop fort comme l’a fait Kim Sung Hwan, il est suivi, espionné, arrêté et finalement jeté 4 ans en prison (voir le numéro 2 de la revue L’intérêt général consacrée au travail).
La situation n’est guère plus brillante chez les autres fabricants. Il suffit pour s’en assurer de regarder par exemple en Chine du côté de Foxconn, assembleur pour Apple, HP ou HTC : une véritable usine-monde, qui regroupe dans ses bâtiments plusieurs centaines de milliers de travailleurs, où la souffrance au travail a poussé le sous-traitant à installer des « filets anti-suicide » à mi-hauteur des immeubles à risque. Cela ne suffisant pas à endiguer le phénomène, Foxconn a depuis déployé des grilles sur tous les toits accessibles. En plus des barreaux aux fenêtres, naturellement.
Alors on ne va pas tous se débarrasser de nos smartphones du jour au lendemain, par contre on peut participer à la campagne #IPhoneRevolt d’Attac, changer de fournisseur : il existe aujourd’hui un Smartphone plus écolo et respectueux, le Fairphone – un peu cher néanmoins – et puis surtout on peut éviter de changer de téléphone tous les ans à chaque fois qu’un nouveau modèle sort, en se souvenant à chaque fois qu’on regarde un modèle quel est le prix du dernier cri : celui des travailleurs et de la planète qu’on exploite.