Chronique du Diois publiée sur Reporterre sous le titre “Désert médical, désertion des politiques” le 6 janvier 2018
Elle s’appelle Alice, et elle est venue s’installer à Die avec homme et enfant au Printemps, il y a moins d’un an. Le couple est arrivé dans le Diois avec le projet d’un deuxième enfant, qui avait du mal à se concrétiser avec la vie parisienne, le stress, une forme d’insécurité permanente. Alors quand la décision a été prise de changer de vie, de cadre, de rythme, ils ont commencé par s’assurer qu’il y avait une école, un hôpital, une maternité à Die. Et ça a marché. Alice attend son deuxième enfant pour avril. Las, tout ne se passe pas comme prévu.
Un territoire rural en vie.
Elles sont une trentaine comme Alice aujourd’hui, à promener leurs ventres arrondis dans Die. Le signe d’un territoire rural qui vit, qui sait attirer des jeunes et des familles, où l’on peut encore naître et grandir dans un environnement préservé, des paysages incroyables, où l’on peut pratiquer des sports de pleine nature, randonner, pédaler, escalader. Apprendre la culture du risque inhérente aux zones de montagne, tout en étant sécurisés en cas d’accident par la présence de l’hôpital et de sa chirurgie d’urgence à proximité. Le signe d’un pays aussi où l’on peut vieillir et être pris en charge en cas de perte d’autonomie, en cas d’accident sur des routes glissantes ou de chute. Car on est dans le Vercors ici. La neige, le gel sont courants, il fait moins 10, moins 15°C comme un rien les matins d’hiver et personne n’est à l’abri d’être bloqué en cas d’intempéries. Les petites routes de montagne peuvent se révéler dangereuses, et il n’est pas rare tout bêtement de glisser sur une plaque de verglas, même en ville.
Mais on y redécouvre les saisons, la nature, le calme. On y grandit en préparant de futurs citoyens qui auront plus de chances que certains petits citadins de savoir ce que veut dire vivre en harmonie avec la nature. Nous vivons dans un pays qui contredit les discours sur la désertification de nos campagnes, avec son théâtre, son cinéma, sa médiathèque, sa gare, sa poste, son centre des impôts, sa sous-préfecture. Des services de l’État, de proximité, qui permettent de ne pas se sentir abandonnés en zone rurale et de faire la démonstration qu’un autre « ménagement du territoire » est possible plutôt que de s’agglomérer en métropole, d’inventer d’autres modes de vie tout en restant reliés au monde, à sa famille, à ses amis. Nous vivons dans un pays qui devrait servir de modèle et d’exemple béni à tous les politiques qui fondent leurs discours sur la défense de la ruralité, qui organisent des « conférences de territoire », parlent d’« attractivité » et de « dynamisme », de « revitalisation », qui font de la lutte contre les déserts médicaux leur thème privilégié à chaque élection.
Las, les phrases qui précèdent seront désormais à conjuguer au passé.
Le 24 novembre, la Ministre de la Santé a annoncé la fermeture de ces services vitaux, avec l’accord placide de la députée et des élus locaux. En échange, elle a promis de rénover l’hôpital ainsi amputé de ses deux axes majeurs, et un bel hélicoptère. Depuis le 31 décembre, la maternité et la chirurgie d’urgence de l’hôpital de Die sont fermés.
Dorénavant les blessés et les femmes enceintes devront donc se rendre à Valence ou Gap, en moyenne à 1h30 de route du Diois, davantage en cas de neige ou de verglas. Rien n’ayant été anticipé, on ne sait pas exactement quel sera le protocole de prise en charge. Les pompiers volontaires qui devront emmener les patients jusqu’à Crest n’avaient pas l’air informés de la décision à venir, les titulaires du bloc opératoire non plus. Tout le monde est tombé des nues. A force d’interpeller, on a fini par apprendre lors d’une rencontre avec le sous-préfet que le Smur de Valence devrait prendre le relais de Crest à Valence, où il y aura donc transbordement des patients. Imaginez concrètement…
On parle de sage-femmes libérales qui doivent être formées pour accompagner les femmes enceintes, on parle de payer à ces dernières l’hôtel hospitalier à Valence quelques jours avant la date programmée, loin de chez elles. On parle… Mais la députée ne sait pas quoi répondre quand on l’interpelle. Les médecins « référent SAMU » du Haut-Diois dénoncent le manque de concertation en amont, déplorent la fermeture, contredisent les « raisons de sécurité », et indiquent qu’ils ne participeront pas in fine à ce dispositif qualifié de « pis-aller ». Et on commence à parler de pertes de chance de survie et de mise en danger de la vie d’autrui. Alice, Aurelia et les autres ne savent toujours pas dans quelles conditions elles accoucheront, et prient pour qu’il n’y ait pas de complications.
Comment Diable en est-on arrivé là ?
Hélas, comme à chaque fois. En accusant son chien de la rage, comme l’a décrit Noam Chomsky, en laissant les conditions de prise en charge à l’hôpital se détériorer depuis 31 ans, date de la première annonce de fermeture, et en jouant sur la peur des habitants.
On a entendu invoquer des problèmes de sécurité à l’hôpital de Die. Mais les mêmes, de l’Agence Régionale de Santé (ARS) au Ministère, en passant par la Députée, ont soigneusement évité de parler des problèmes de sécurité que poseraient le transfert par la route. Le savent-ils seulement ? Ont-ils seulement regardé une carte ? Passé un Hiver dans le Diois ? Quant à l’hélicoptère promis, ils ont omis de préciser qu’il ne serait pas toujours disponible, qu’il risquait de ne pas prendre en charge les patients dont l’état n’est pas stabilisé, et qu’il ne serait probablement pas prêt à temps, comme nous l’a confirmé le sous-préfet lors de la rencontre avec Alice et Philippe Leeuwenberg du collectif.
Pour justifier cette fermeture, on a entendu qu’il n’y avait pas assez d’accouchements pour maintenir les qualifications des médecins. Mais les mêmes ont soigneusement évité de parler du nombre d’actes -inférieur- des sages femmes qui prendraient le relais, du fait que de nombreux praticiens exerçaient aussi ailleurs, ni des accouchements à domicile, fréquents dans le Diois, qui ne rentrent pas dans les statistiques mais ne sont possibles que par la proximité de la chirurgie de l’hôpital en cas de complications.
On a entendu dire que les médecins ne voulaient pas venir à Die. Mais pas un mot de ceux qui avaient pourtant postulé et dont les candidatures n’ont même pas été étudiées. Des médecins prêts à venir s’installer et travailler ici, qui demandaient juste à être assurés que l’hôpital aurait bien son autorisation pour cinq ans, comme ça se fait partout… Sauf à Die, où l’Agence Régionale de Santé distille au compte-goutte, après chaque mobilisation, des renouvellements d’un an. Mais quel chirurgien, quel gynécologue, va quitter son travail pour s’installer en zone rurale pour un CDD d’un an ?
Ils n’ont pas non plus parlé de l’engorgement et du manque des moyens des hôpitaux de ville, en envoyant les accidentés et femmes enceintes à Valence, où l’hôpital est déjà tellement surchargé qu’on y soigne les patients dans les couloirs et que les personnels du bloc opératoire y sont en grève.
Pour justifier cette fermeture, on a même vu de fausses informations circuler dans les journaux locaux sur une menaçante pénurie de poches de sang, démentie depuis publiquement par l‘union départementale des donneurs de sang.
On a entendu beaucoup de choses, mais rien de la défaillance de l’État et des moyens qui ne sont plus alloués à la santé publique, de la tarification à l’acte qui a fait primer la rentabilité sur l’intérêt général, de la longue dégradation organisée d’un hôpital public laissé à l’abandon depuis des années.
Démission des politiques.
Alors oui, l’hôpital de Die, sa maternité et sa chirurgie avaient besoin d’être rénovés, renforcés, réorganisés. On avait besoin d’en revoir la gestion, de faire venir de nouveaux praticiens, de développer les coopérations avec d’autres hôpitaux. On pouvait même imaginer le développer en misant sur nos atouts, sur l’environnement exceptionnel du Diois : avec des spécialités de convalescence, de traitement des longues maladies, de médecine du sport, de nouveaux modes d’accouchement et de médecines naturelles, on pourrait passer de la défense à la reconquête, de la conservation à l’action… En fait on pouvait faire tout ça depuis 31 ans, début de la lutte engagée avec le collectif de l’hôpital. Au final, faute de volonté politique, on va remplacer des risques maîtrisables par d’autres, qui ne le sont pas : l’action politique à ceci de différent avec le verglas qu’elle se décide, se planifie et s’organise. Il faut juste un peu de courage et de détermination.
Ni la Ministre, ni l’ARS, ni la Députée, ni le Président de la communauté de communes, ni le Maire de Die n’ont voulu entendre ces alternatives, ni la mobilisation des habitants qui a pourtant dépassé très largement le cadre partisan et s’est exprimée de toutes les manières possibles (voir le blog du collectif). Dépôt de plainte des femmes enceintes en gendarmerie, émissions de radio, lettres à la Ministre, manifestations, aires d’accouchement improvisées sur un rond-point, affichage dans les rues de portraits de générations nées à Die, simulation d’exode vers Valence… On n’a pas manqué d’imagination ni de relais. Tout le monde s’y est mis : futurs parents, commerçants, habitants, et certains élus heureusement. La pétition a reçu plus de 15.000 signatures en quelques jours, on a reçu des messages de soutien et de solidarité du pays tout entier, et on a sans cesse rappelé que deux fois déjà, en 1986 et en 2008, la population avait réussi à sauver chirurgie et maternité.
Cette fois cela n’a pas fonctionné. L’ultime acte de résistance pour essayer d’annuler cette décision, par un référé en suspension déposé par l’avocate du collectif auprès du tribunal de Grenoble, a été rejeté le 28 décembre. Tenez-vous bien, c’est l’acme de cette triste histoire : le rejet du tribunal a été fondé sur le fait qu’il n’y avait pas de décision administrative à contester. En fait le directeur de l’hôpital de Die, qui entre-temps a été promu pour ses bons services aux hospices civils de Lyon, n’a tout simplement pas fait la demande de renouvellement d’autorisation. Ce n’est donc pas stricto sensu une fermeture, juste une extinction. Une opération rondement ficelée de destruction.
Le Diois sort de cette lutte amputé. Alors que le dernier recensement nous mettait sur la voie dynamique des 5.000 habitants, cette fermeture d’un service essentiel risque fort de mettre un coup d’arrêt à l’arrivée de jeunes et de familles, de nouveaux lycéens en section sport-nature, d’usagers de la gare, d’écoliers et de spectateurs pour le théâtre et le cinéma… Les gens y réfléchiront à deux fois, malgré toute la beauté des paysages, avant de venir s’installer dans le Diois.
Alors que ces édiles locaux, qui il y a quelques mois encore assuraient que l’hôpital était « un outil structurant pour le territoire », faisaient de grandes envolées lyriques sur la ruralité et la défense du territoire, ceux-là même qui se battaient pour être sur la photo de banderole de défense de la maternité, tous ceux-là, qui ont jugé que leur place n’était pas aux côtés des Diois à l’heure de l’ultime mobilisation et ont même appelé leurs collègues élus à ne pas manifester… Qu’ils ne viennent pas pleurer sur le divorce entre élus et citoyens. Qu’ils ne viennent plus verser leurs larmes de crocodile sur le niveau d’abstention. Qu’ils ne nous parlent plus de vivifier le Diois. Et s’ils sont reçus, qu’ils ne s’étonnent pas.
Nous on va continuer à se battre pour cette terre du Diois et ses habitants. Parce que rien n’aurait été possible sans le collectif de l’hôpital de Die pour obtenir et relayer les informations et organiser la mobilisation, l’action doit rester collective. Parce que d’autres choix sont possibles, parce que nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone, que nos montagnes ne sont pas des déserts, et que cette fabrique de la colère qu’est la désertion des politiques doit être résolument combattue.
Photos : Collectif de l’Hôpital de Die et Blandine Desvignes pour Glandage et Beaurières