Heureuse de vous présenter la première chronique d’une nouvelle série “Vu de…” que je vais désormais tenir chaque mois sur Regards pour parler de la Région et décrypter la gestion de Laurent Wauquiez.
Depuis qu’il a pris la tête de la Région Auvergne Rhône Alpes, puis celle de Les Républicains, on ne tient plus Laurent Wauquiez. W (prononcez dabeuliou), comme on l’appelle chez nous, se sent pousser des ailes présidentielles. Mais pour qui se rêve un destin national, la deuxième région de France reste un étroit bocal. Alors W déploie des mesures nationales – hors compétences régionales, parfois inapplicables, parfois carrément illégales mais qu’à cela ne tienne : rodé des années auprès de Nicolas Sarkozy, W a le dispositif clé.
Acte Un, le coup de comm : provoquer une annonce fracassante auprès des media, si possible polémique, bien droitière, qui fasse le maximum de bruit, de reprises, de critiques ou de hauts cris. Tant qu’on en parle.
Acte Deux, l’étape la plus ennuyeuse, formelle mais il faut bien y passer : faire ratifier l’annonce en assemblée régionale par un vote de sa majorité, si possible sans trop de débats.
Acte Trois : faire suer les services qui doivent ramer et se cramer le cerveau pour déterminer comment ils vont bien pouvoir faire pour appliquer un truc infaisable, illégal ou tout bonnement pas du ressort régional.
Acte Quatre : se rendre compte que bon là c’est vraiment inapplicable, se faire retoquer par le Préfet au moment du contrôle de légalité, ou juste s’en moquer, et reculer quand personne ne le voit.
Et le tour est joué. Tout ce qu’en retient le grand public c’est le premier feu de l’annonce passée dans les médias, généralement empreint de rectitude et de fermeté. Le reste n’est que fumée.
Un exemple concret ? On en a mille mais celui-ci est particulièrement savoureux, tenez.
Tartuffe, ou l’imposture de la “clause Molière”
Acte Un : le 6 février 2017, W annonce dans la presse l’instauration d’une « Clause Molière » pour traquer les travailleurs détachés. Pardon, pour s’assurer qu’ils comprennent bien les consignes de sécurité sur les chantiers. Donc sur tous les chantiers de la Région, les travailleurs devront parler français.
Acte Deux : Malgré les deux minutes accordées aux groupes de l’opposition qui s’évertuent à expliquer que la mesure est discriminatoire et que les conditions des salariés sur les chantiers relèvent d’une inspection du travail déjà asphyxiée, la délibération « Clause Molière » est adoptée le 9 février.
Acte Trois : Alors que le Préfet de région conteste la délibération et la juge discriminatoire, W annonce la mise en place d’une « brigade de la langue française » le 14 mars. Mais comme il ne veut pas embaucher pour garder sa notation Standard and Poors, il se contente de prendre cinq agents de la Région, leur fait enfiler un gilet bleu et pose pour la photo. Las, la « Clause Molière » est finalement annulée par le Tribunal administratif le 13 décembre 2017.
Acte Quatre : alors qu’on n’a plus entendu parler de Molière depuis des semaines, Tartuffe (ou l’imposteur) rentre en scène, bien malgré lui, à l’occasion des vœux de la Région : on s’aperçoit alors que le prestataire, GL Events, non seulement fait venir les travailleurs de Paris et non de Lyon où l’entreprise est implantée – ce qui est déjà un affront à la « préférence régionale » chère à W – mais en plus emploie des travailleurs roumains qui ne parlent pas français.
Dégringolade en cascade de Molière, de la clause, de la brigade et de l’exemplarité.
W est un Janus. Tout comme le Front National qu’il entend piller, il possède deux visages. Côté pile, les mêmes vieux relents nationalistes. Côté face, la bonne grosse arnaque libérale de la concurrence libre et non faussée. Et des fourberies comme ça on en a un paquet. Chez W, on ne s’ennuie jamais.