Voitures et pollution : le gouvernement à contresens

Publiée le 26 février 2015 sur Mediapart

Mathieu Agostini, conseiller municipal des Lilas (Seine-Saint-Denis), Corinne Morel Darleux, conseillère régionale Rhône-Alpes, Danielle Simonnet, conseillère de Paris et Didier Thévenieau, responsable écologie du Parti de Gauche, dénoncent la politique automobile du gouvernement, et notamment la prime aux véhicules électriques : « Aucune transition écologique ne permettra de sortir de l’impasse sans la prise en compte des inégalités sociales ». 


Aujourd’hui, plus de 22% des ménages français sont en situation de « vulnérabilité énergétique », selon l’Insee. Outre les factures liées au logement, une part significative de cette précarité est liée aux transports. Le problème de la mobilité est donc une urgence sociale doublée d’une urgence environnementale que la pollution aux particules fines et ses conséquences sanitaires accentue. Plusieurs études de l’Union européenne, de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Institut de veille sanitaire montrent en effet que la pollution aux particules fines (PM10 et PM2,5), dont les pics sont liés aux transports, cause plus de 42 000 décès par an (1) dans notre pays et participe à la réduction de notre espérance de vie.

On pourrait donc attendre du gouvernement et du Parti socialiste, qui cherchent à verdir leur image dans l’objectif de la COP 21 fin 2015 à Paris, des mesures concrètes pour faire face à une situation de plus en plus grave. Las, aucune proposition dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte de Ségolène Royal, ni dans le plan “anti-pollution” et les “ zones à basses émissions ” d’Anne Hidalgo à Paris, n’est à la hauteur des enjeux.

La réponse des pouvoirs publics s’appuie sur trois axes majeurs, largement insuffisants voire contreproductifs : le développement de la voiture électrique, des mesures d’incitation fiscales, et l’interdiction des véhicules les plus polluants.

Il y a quelques semaines, le député Hervé Féron attirait l’attention du gouvernement sur plusieurs études significatives. Celles-ci montrent que 41 % des particules fines en suspension émises par le trafic routier en Île-de-France seraient issues du freinage des véhicules (pneus, revêtement des routes et plaquettes de frein). Même si la voiture électrique produit moins de particules fines au freinage, s’il s’agit de lutter contre ces pollutions, rien ne sert de relancer le marché de l’automobile ! Non seulement la fabrication de ces véhicules est génératrice d’autant de CO2 que les autres, essentiellement à cause des métaux rares nécessaires aux batteries, peu recyclables et qui induisent un modèle extractiviste, mais en plus, chose extraordinaire : ces voitures roulent sur des routes avec des pneus ! 

Les relégués continueront de conduire et polluer

En matière fiscale, il est essentiellement question de faciliter l’achat de ces voitures électriques par des aides pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. Parallèlement, il s’agit de sanctionner les propriétaires de véhicules polluants, voire de leur interdire l’accès à certains quartiers en créant des « no-go zones ». Ces mesures portent en elles le germe d’une injustice sociale inutile.

En effet, qui pourra profiter de la prime pour l’achat d’une voiture électrique dont le prix moyen aujourd’hui se situe aux alentours de 21 000 euros ? Qui pourra trouver 11 000 euros pour changer son vieux diesel ? Sûrement pas les 5 millions de chômeurs ni les 12 millions de français en situation de précarité énergétique, majoritairement des employés et agriculteurs, dont 35% vivent en périphérie des agglomérations et 31% en zone rurale. Ceux là devront continuer de rouler avec leur vieux véhicule et se verront taxés, interdits d’accès des zones réservées aux véhicules électriques, et signalés d’un écusson les identifiants comme coupables de pollution !

Cela ne changera rien à la pollution et ne fera qu’accentuer la fracture territoriale et les inégalités sociales entre les habitants des grands centres urbains aux loyers inaccessibles et les classes populaires qui n’ont pas choisi d’habiter loin des villes ou de leur lieu de travail. Ces mesures ne sont ni sociales, ni écologiques et croire qu’on réussira la transition énergétique, la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique en laissant sur le bord de la route ceux qui en subissent le plus les conséquences est une faute que les générations futures pourront difficilement racheter.

Pour un grand plan national « sécurité mobilité »

Aucune transition écologique ne permettra de sortir de l’impasse sans la prise en compte des inégalités sociales. La bifurcation écologique nécessite de mettre en place une planification sur le long terme avec une politique d’aménagement du territoire entièrement refondée. Celle-ci doit viser à réduire les distances domicile-travail en impulsant dans chaque bassin de vie la mixité des activités : emplois, logements, commerces, écoles et services publics. Nous avons besoin d’urgence d’une politique nationale ambitieuse de report modal développant le ferroutage, le transport fluvial, et créant de véritables alternatives au véhicule individuel avec l’extension et la gratuité des transports en commun. Dans l’immédiat, et tout au long de la période de transition, des mesures d’urgence sont indispensables.

Parmi elles, dans les 100 premiers jours d’un gouvernement écosocialiste tel que nous le défendons, nous proposons un grand plan national de « sécurité mobilité » afin de continuer à assurer les déplacements contraints tout en travaillant à des modifications de comportements. Ce dispositif « sécurité mobilité » consiste pour les pouvoirs publics à racheter les véhicules les plus anciens et polluants à leurs propriétaires, sous condition de ressources, et à mettre à leur disposition l’accès à un parc de véhicules en prêt gratuit. Ainsi on évacue du parc automobile les vieilles voitures polluantes tout en favorisant la sortie du système actuel du « tout routier» insoutenable d’un point de vue à la fois sanitaire et environnemental.

Dans ce plan national figurent également la fin des partenariats public-privé et la réappropriation en gestion publique des flottes d’autopartage. Celles-ci seraient adossées aux services publics existants (transports locaux, SNCF etc) de façon à mailler le territoire au-delà des seuls périmètres urbains. Notre dispositif s’accompagne enfin du développement d’une filière de recyclage des véhicules rachetés qui permettrait de reconvertir les emplois sacrifiés de la filière automobile.

Entre écologie et social, nous choisissons les deux. 

Imposer une écologie punitive pour les plus bas revenus et brandir le mirage des voitures « écologiques » est un contresens historique et une faute politique majeure. L’écosocialisme que nous portons ouvre a contrario la possibilité de conjuguer justice sociale et environnement. Le dispositif « sécurité mobilité » en est une illustration concrète, porteuse de bien vivre ensemble, dans un environnement préservé.

(1) Ce chiffre, bien que controversé, est celui annoncé par les ministres Cécile Duflot et Delphine Batho.

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