Suite de session (la matinée est ici), cet après-midi nous nous penchons sur le Contrat de plan Etat-Région, petit nom de code : CPER. Comme son nom l’indique, c’est un contrat signé entre l’Etat et la Région Rhône-Alpes qui court sur la période 2015 à 2020. En réalité un contrat Etat-Region-Collectivités-Métropoles où ces dernières se taillent la part du lion. Là encore le débat a été houleux depuis plusieurs semaines, émaillé d’incidents, de refus d’amendements, de modifications de dernière minute, d’actes d’autorité et de trafalgars, jusqu’à ce midi, à la tête de la Région. Je n’ai pas voté ce CPER, en voici les raisons.
Premier
constat, la Région dans ce cas est réduite au sommet de sa partie
pyramidale, puisque les simples élus que nous sommes, celles et ceux
qui ne siègent pas à l’exécutif aux côtés de JJ Queyranne, ont
découvert le contenu intégral de ce contrat moins de deux semaines avant le
vote. On nous vante pourtant, dans la délibération soumise au vote,
le long processus démocratique (sic) mené depuis 2013 qui a présidé
à son élaboration. Encore qu’en lisant attentivement, quelques
phrases indiquent tout de même bien qu’en la matière “l’Etat
a fixé seul le cadre de son intervention”, précisé par les
“circulaires successives du Premier Ministre”, M. Valls.
Dont acte. Comme pour les décisions d’austérité appliquées aux
dotations de l’Etat donc, on subit encore une fois. Mais pas sans
broncher.
D’autant qu’on découvre également dans le texte que la consultation publique aura lieu après notre vote, de même que l’avis de l’autorité environnementale qui ne sera connu qu’une semaine après. Et de nombreuses critiques ont déjà été émises sur ces contrats “trop focalisés sur l’attractivité et la compétitivité, pas assez clairement financés”. Le CESER de Rhône-Alpes a également émis des réserves sur le manque de vision à long terme, l’absence de plan à proprement parler, faisant plutôt penser à un contrat de projets, et des choix stratégiques étonnants comme la baisse de 37% sur le volet enseignement supérieur ou les nombreux transferts de charges de l’Etat vers la Région. Enfin, pour bien préciser : quand il nous parvient ce CPER est bouclé, nos amendements ne peuvent donc porter que sur la délibération régionale, qui comporte plusieurs points, le premier étant que la Région approuve le contrat ainsi formulé, en bloc.
Deuxième
point qui retient mon attention, ce contrat entre l’Etat et la Région
nous lie donc sur de grandes orientations d’investissement public
jusqu’en 2020. C’est pour le moins curieux de tracer aujourd’hui ces
orientations alors que nous sommes encore en pleine discussion sur la
réforme territoriale qui déterminera les compétences de la Région,
que celle-ci doit fusionner avec la Région Auvergne début 2016, et
que nous sommes à quelques mois des prochaines élections
régionales. Personnellement, c’est avec les citoyens que j’ai envie
de m’engager et non, à quelques mois d’un changement de mandature,
avec l’Etat. Il me semble que l’intérêt d’une campagne électorale
est a contrario de construire un projet avec les citoyens, que ceux-ci sachent quels sont les différents projets
régionaux défendus par les candidats. Et c’est bien aux électeurs qu’il
revient, à cette occasion, de dire quel doit en être le cadre
politique.
Les dés ne seront-ils pas pipés, dès lors que nous aurons signé ce contrat avec l’Etat ? Faudra-t-il dire aux citoyens qu’on ne peut pas appliquer nos engagements de campagne parce que nous sommes liés, neuf mois avant l’élection, par ce contrat avec l’Etat ? Comment s’engager sur un contrat qui part du principe que l’austérité se poursuivra (la délibération proposée commence par décrire le “contexte nouveau marqué par la raréfaction des finances publiques” comme si c’était une fatalité) et qui mise sur les grandes métropoles, alors que notre projet à nous repose à l’inverse sur la relance de l’activité par l’investissement public et la revalorisation des salaires, un aménagement du territoire plus équilibré et le refus des privatisations ? Un exemple : le CPER prévoit de contractualiser avec la plaine de Saint Exupéry près de Lyon autour des “questions d’avenir de la plateforme aéroportuaire”. Comment oublier que le même Parti Socialiste, qui dirige à la fois le gouvernement et la Région, vient de faire passer en force la loi Macron sans vote au Parlement, par le recours au 49.3, et que cette loi prévoit la privatisation… de l’aéroport de Lyon Saint Exupéry, précisément.
Bien
sûr, j’entends les arguments de ceux qui votent en faveur de ce
CPER, non parce qu’ils en partagent la philosophie, mais parce qu’un
tiens vaut mieux que deux tu l’auras. J’entends que c’est toujours ça
de pris en terme d’investissements de l’Etat, que nous agissons dans un
cadre contraint dont les règles sont fixées par l’Etat, et que certains
volets du CPER sont positifs. C’est vrai. Mais en réalité, sur
ce CPER opportunément présenté à 6 milliards, seul 1 milliard
vient réellement de l’engagement de l’Etat dans le CPER à
proprement parler. Rappelons quand même qu’en parallèle l’Etat ne cesse
d’annoncer la baisse de ses dotations à la Région, et que de
nombreux crédits valorisés étaient déjà dans les tuyaux. Sans
compter les transferts de l’Etat vers la Région opérés à cette
occasion.
Autre incohérence, le CPER prévoit d’engager 6 millions d’euros pour des études d’avant-projet sur la ligne POCL (Paris Orléans Clermont Lyon), alors que la pertinence de ce projet de ligne a été sérieusement mise en cause, que différents scénarios ont déjà été étudiés par Réseau Ferré de France et qu’enfin le gouvernement a repoussé le projet à l’après-2030. Pourquoi ne pas avoir choisi d’investir plutôt sur la réouverture de la ligne Lyon-Trevoux et de la rive droite du Rhône, ou le doublement du tronc commun de l’Ouest Lyonnais qui eux ont disparu du CPER (mais sont dans l’amendement voté, j’y reviendrai) et semblent autrement plus urgents ? En matière de transports toujours, le CPER inscrit le principe de “bus à haut niveau de service” au lieu du tram-train largement plébiscité pour la ligne Crémieu-Meyzieu. Quelle est donc cette nouvelle mode à la Macron pour les cars, bus, et autres véhicules routiers ?
Quel
que soit le vote de la Région, je doute fort que l’Etat recule
sur ces domaines déjà restreints. Inutile de jouer à se faire peur
: l’Etat a déjà fait ses choix. Pour lui, c’est “je décide,
tu dépenses”… Et Diable, nous sommes dans une situation si
absurde, ubuesque, qu’on en vient presque à se réjouir
d’investissements de l’Etat qui sont parfaitement normaux ! Quoi,
l’Etat investit dans l’université et le rail, il soutient le
développement numérique et les monuments historiques ? Mais enfin
encore heureux ! De toute manière, CPER ou pas, il serait naïf de
croire que l’Etat n’a pas déjà tranché : il ne se prive pas pour
se désengager quand ça ne l’intéresse pas. C’est ainsi que la
“régénération des petites lignes”, entendez les travaux
qui permettent à nos trains de campagne de rouler, passe à
l’occasion de ce CPER de l’Etat à la Région : elles ne seraient pas
d’intérêt national, mais local. Donc au local de payer. Idem pour
certaines routes : la Région se retrouve dans ce CPER à
financer des portions de route en Ardèche au-delà de ses
engagements qui ne portaient que sur les routes empruntées par les
cars TER. Pourquoi ? Voilà un sacré risque de jurisprudence, et une
drôle de conception de l’égalité républicaine, non ?
Nous avons donc déposé, au groupe Front de Gauche, un amendement pour que la délibération prévoit de demander des investissements – non chiffrés – à la métropole de Lyon et au Conseil général de l’Ain pour la réouverture de la ligne Sathonay-Trevoux, ainsi qu’avec l’Ardèche pour la réouverture de la rive droite du Rhône, qui fait également l’objet d’un vœu au gouvernement et à Réseau Ferré de France. Le groupe EELV a également contribué dans ce sens, sur le doublement du tronçon de l’Ouest Lyonnais et des vœux sur le volet routier en Ardèche et le retrait des études POCL et Lyon-Turin. Très bien, naturellement. Ce sont des combats que nous portons depuis longtemps. Toute la question, comme souvent, est de savoir si avec l’inscription de ces voeux l’avancée est suffisante pour voter ou non ce contrat de plan.
Mais je vais trop vite, je parle de ces éléments alors que je ne vous ai pas encore dit qu’il y avait un volet territorial dans le CPER, dont le groupe EELV a d’ailleurs demandé, sans succès, le retrait. Ce volet territorial, que prévoit-il ? On ne sait pas précisément, “les documents constituant le volet territorial sont encore en phase de mise au point”. Donc on nous demande dans la délibération régionale de voter le “principe de l’approbation”. J’ai fait des bonds de trois mètres quand j’ai lu ça. Voter un principe d’approbation sur des contrats dont on ne connait pas le contenu ?! Autant signer les yeux fermés, mais sérieusement alors à quoi donc servent les élus ? Mais on m’a expliqué que c’était une formule dédiée. Ah. Bon. N’empêche, je ne signerai pas a priori pour des textes que je n’ai pas pu étudier. Surtout quand ceux-ci prévoient un volet spécifique avec le territoire de la Maurienne “pour inscrire le chantier du Lyon-Turin dans une dynamique territoriale”, en prévision du percement du tunnel et le financement de nouvelles études pour la ligne à grande vitesse. Un projet dont les coûts ne sont toujours pas certifiés, dont rien ne garantit qu’il bénéficiera des fonds européens attendus, dont l’utilité est basée sur des prévisions de trafic erronées, et qui est émaillé de conflits d’intérêt. Ça commence à faire beaucoup. En tant qu’élue, je pense que l’argent public serait mieux utilisé à financer des études beaucoup moins coûteuses sur la ligne existante qui a déjà été remise aux normes et est actuellement sous-utilisée. Cela nous permettrait d’économiser et de mettre les camions sur les trains plus rapidement que dans trente ans.
De même que je ne comprends pas pourquoi on est si pressé de contractualiser avec les grandes métropoles (Grenoble, Saint Etienne, grand Genevois) alors que le contrat avec l’Etat ne nous y oblige qu’avec Lyon. Franchement, la manière dont les choses se déroulent au grand Lyon, devenu Métropole, ne me semblent pas vraiment de nature à soulever l’enthousiasme ! Pourquoi se précipiter et jouer ainsi le jeu du gouvernement pour demander à notre tour, alors qu’on l’a toujours dénoncé, aux départements et métropoles de s’engager là où l’Etat devrait continuer à le faire ? Non, vraiment, ce volet territorial anticipé, je n’en vois pas l’intérêt. A moins que la tournée des départements dans laquelle s’est engagé le Président de Région – et futur candidat à sa succession – ait généré quelques promesses qu’il s’agit d’honorer avant les élections départementales de la fin du mois ?
Mais
surtout, ce CPER est un fourre-tout sans vision stratégique. On y
trouve pêle-mêle du bon, sur l’économie circulaire par exemple, et
du moins bon, comme je l’ai déjà souligné. A force de vouloir
faire plaisir à tout le monde, on y trouve tout et son contraire. Où
est le projet structurant pour les cinq années qui viennent, où est
le projet d’avenir proposé à la Région et ses habitants ? Où sont
discutés et définis les critères qui doivent guider les choix de
dépenses publiques de ce plan ? Où, la cohérence entre les politiques de
transition énergétique et le “Plan Rhône” signé autour
du fleuve avec des opérateurs privés, plan qui vise à concilier
l’inconciliable entre “la prévention des inondations et les
pressions d’un développement urbain et des activités humaines en
zone inondable” ? Quid de la défense des territoires ruraux quand
on sait pertinemment que la métropolisation concentre les pouvoirs
entre les mains de barons locaux, asservit les petites collectivités
et ne génère qu’abus de pouvoir et inégalités ? J’ai du mal à croire que
ce grand écart permanent finisse par produire quelque chose de
pertinent.
Non, ce dont nous avons besoin pour les cinq ans à venir c’est d’un projet d’ensemble, cohérent. Nous avons tout ce qu’il faut pour mener une politique permettant à chacun de bien vivre dans les deux régions Auvergne et Rhône-Alpes. En rentrant dans une logique de coopération entre les territoires, a contrario de la course à l’échalote permanente dont nos campagnes ne peuvent sortir que perdantes. En nous basant sur nos véritables atouts en matière de ressources naturelles, de production et de richesses immatérielles, en territoires urbains comme ruraux, d’idées qui ne demandent qu’à éclore et de savoir-faire industriel, avec un tissu de PME, d’artisans, d’associations et de paysans qui ne manquent ni d’envies ni de volonté. Ce qu’il nous faut c’est un projet politique nouveau pour une nouvelle Région, qui redéfinisse ses priorités au regard des besoins réels. Une Région solidaire, qui puisse agir comme bouclier social face aux politiques d’austérité en redéfinissant ses priorités. Il n’y a pas d’argent ? Alors cessons de le donner à ceux qui n’en ont pas besoin, recentrons nos actions, osons faire de vrais choix budgétaires ! C’est possible. Nos amendements budgétaires, en janvier 2015, l’ont prouvé. Il n’y a pas de fatalité. Pour l’accès à des transports régionaux de qualité et à des lycées où il fait bon étudier, pour la préservation des biens communs, pour une agriculture locale de qualité, pour un climat et un environnement préservé, il nous faut une Région qui valorise l’ensemble de ses richesses humaines et environnementales, sans raisonner uniquement en termes d’agences de notation ou de PIB. Une Région enfin et surtout qui écoute et consulte les citoyens et puisse leur garantir que leur argent sera bien utilisé, selon des critères clairs et transparents, sans complaisance pour les intérêts privés, là où il y en a le plus besoin. Une Région au service de tous.
Nous y travaillons.
Résultat du vote : pour 60 (dont PS, PRG et une partie du FdG) – contre 41 (dont FN et UMP) – abstention 48 (dont le groupe EELV et 4 élus du FdG)