Tribune co-rédigée avec Pierre Meriaux, élu en charge de la Montagne à la Ville de Grenoble, à l’occasion de l’ouverture du Congrès de l’Anem (association nationale des élus de montagne, présidée par Laurent Wauquiez) et de la révision en cours au niveau du Parlement de la Loi Montagne. En vous en souhaitant une belle lecture, et n’hésitez pas à diffuser largement, si cela vous plait.
Congrès de l’ANEM : « La montagne est un bien commun, pas un terrain de jeux ! »
Corinne Morel Darleux, conseillère régionale d’Auvergne Rhône Alpes (RCES), membre de la commission Montagne
Pierre Meriaux, conseiller municipal délégué à la Montagne de la ville de Grenoble
Vous pouvez télécharger la tribune en pdf ici ou sur le site des élu-e-s du Rassemblement
Le congrès de l’association nationale des élus de montagne (Anem) débute demain à Saint Dié les Vosges. Ce congrès a lieu entre élus uniquement, et il est sponsorisé par de grands groupes privés, deux bonnes raisons pour nous de ne pas y participer. Il nous paraît pour autant essentiel de faire entendre une autre voix, tournée vers l’extérieur celle-là, et de saisir l’occasion de revenir sur ce territoire particulier, si riche et pourtant si fragile, qui couvre 30% du paysage français. Trop nombreux encore sont hélas les décideurs politiques et économiques à avoir une vision purement mercantile de la montagne.
La montagne a de tout temps représenté pour les civilisations humaines un lieu de conquêtes et de dépassements humains, des lieux de défense et de protection où placer des fortifications et implanter des villages, des espaces de silence d’où voir au loin, prendre du recul et surplomber le monde. Elle est la source de nos fleuves et rivières, lieu de biodiversité et réserve de services écosystémiques, territoire où se mêlent tout à la fois pastoralisme, tourisme, randonnées et nature sauvage.
La montagne est un espace à la fois vulnérable et précurseur. Elle est l’amont, notre vigie, et vit en première ligne de nombreuses évolutions. Elle est notamment en première ligne des impacts du dérèglement climatique et fait l’objet de nombreuses études scientifiques. Les politiques de montagne doivent être conçues en lien avec ces travaux, dans l’intérêt général, avec une vision du futur. Elles se doivent d’être innovantes et réactives. Parce que la montagne ouvre la voie, tout ce que nous y réussirons aura les meilleures chances de réussir ailleurs et d’irriguer l’ensemble du territoire national. Pour toutes ces raisons, la montagne doit bénéficier d’attentions particulières de la part des politiques.
Mettre l’humain au centre, oui. Le munir des seuls fusils et canons, non.
Or en Auvergne Rhône Alpes, région la plus montagneuse de France, les décisions ne vont pas dans le bon sens. Laurent Wauquiez met à mal la politique des Parcs naturels régionaux (PNR), leur fonctionnement, leurs moyens, voire jusqu’à leur existence pour ce qui est du PNR du Haut Allier. L’attribution de 3 millions d’euros aux chasseurs pour mener la politique environnementale de la Région est une nouvelle source d’inquiétudes. L’usage de nos espaces et ressources doit faire l’objet d’une concertation large, multipartite, tenant compte de la diversité de ses acteurs. Mettre l’humain au centre, oui. Le munir des seuls fusils et canons, non. Las, le responsable Montagne de Laurent Wauquiez, Gilles Chabert, semble privilégier sa fonction de président du syndicat des moniteurs de ski à sa mission d’élu régional. La notion de conflit d’intérêt semble lui demeurer tout à fait obscure.
Si le Vice-président au tourisme tente de pallier ce manque en affichant dans son discours une volonté de faire vivre la montagne des 4 saisons, les actes hélas, et les budgets alloués, tardent à suivre. Au final, et après dix mois d’exercice, les signes sont clairs : c’est bien la neige artificielle et le marché des sports d’hiver qui a l’apanage de la majorité qui dirige la Région. Plus de 200 millions d’euros d’argent public ont ainsi été mobilisés pour l’installation de canons à neige. Consommation d’eau, d’énergie, endettement des stations et hausse des tarifs : l’installation de ces artifices dans un écosystème fragile ne rend service ni aux habitants, ni à la nature. Et concentrer l’argent public, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est de plus en plus rare, sur 3 % du territoire de montagne au bénéfice des seuls 7 % de la population qui skient encore est pour le moins discutable !
Sortir des années 70. Penser l’avenir.
Nous ne sommes plus dans les années 70. Ignorer délibérément le réchauffement climatique et la baisse de l’enneigement n’est ni sérieux, ni responsable. Ce dont ont besoin les territoires de montagne, c’est d’une vision politique qui anticipe et allie développement économique, tourisme et accueil à l’année, en prenant en compte ces nouvelles données climatiques. Qui n’oublie pas les services publics de proximité, les activités de pastoralisme, les besoins des habitants qui vivent de et en montagne toute l’année. Une vision d’avenir, c’est développer la vraie diversité des activités de pleine nature, un tourisme de proximité plutot que de courir vainement dans la compétition aux clients les plus fortunés, une politique qui préserve les atouts de la montagne non aménagée, s’articule avec les espaces valléens, pense l’urbanisation et le transport en tenant compte des impératifs de santé publique et de qualité d’un air déjà saturé par la pollution atmosphérique. Dans ce cadre, le soutien de la nouvelle Région au Lyon-Turin était déjà un très mauvais signal : ce projet risque d’engouffrer des sommes colossales, de mettre en péril la montagne, il regorge de conflits d’intérêts et ne résoudrait de toute façon rien en matière de pollution avant de très longues années. Pourtant des alternatives existent sur la voie ferrée actuelle, occupée à 17 % de sa capacité seulement !
Loi Montagne : Prendre la bonne piste.
Il y a pourtant urgence, et ces questions sont d’autant plus d’actualité que la Loi Montagne est en cours de révision à l’Assemblée Nationale. Si ce cadre législatif a été essentiel depuis sa création en 1985, il manque aujourd’hui d’ambition. Pourtant le rapport « Laclais-Genevard » comportait quelques avancées, que nous avions soutenues : disparition de la niche fiscale « Censi-Bouvard » pour les logements neufs, soutien à la diversification des activités, souci de maîtrise des nuisances motorisées en montagne…
Mais les lobbies ont fait leur travail de sape, et le projet de loi est à l’heure actuelle quasiment muet sur des questions stratégiques majeures, ce que relève d’ailleurs le Conseil Economique, Social et Environnemental dans son avis très critique. Ce projet de loi développe une vision qui reste de moyen terme sur l’adaptation au changement climatique. Il ne traite pas la question des dizaines de milliers de « lits froids » en stations (logements touristiques restant vacants la majeure partie de l’année) ni celle de la réhabilitation ou destruction des constructions effectuées dans les années 70/80, dont l’impact sur la qualité des sites est souvent catastrophique.
Ce congrès de l’ANEM et ce débat national sur la Loi Montagne doivent donc impérativement prendre enfin la bonne piste, celle de l’avenir, et considérer la montagne comme un bien commun à protéger, et non un terrain de jeux à exploiter. Une autre montagne est possible !