Tribune collective publiée sur Reporterre le 9 juinpar les « Écolos vintage du Parti de Gauche » : Corinne Morel Darleux, Olivier Fontan, Laurence Pache, Mathieu Agostini, Didier Thevenieau, Julie Del Papa, Jean-Charles Lallemand, Martine Billard, Laurent Ayrault, Arthur Morenas, François Longerinas, Mylene Stambouli, Brigitte Blang, Xavier Pozzovivo et Thomas Giry.


Cher Noël,

Au fil d’une récente tribune publiée dans Reporterre, tu appelles à une refondation de l’écologie à quelques jours du congrès d’EELV [qui se tient ce week-end]. Constatant les attentes de nombre de nos concitoyens, les actes de compromission qui ont délégitimé l’écologie en allant se fourvoyer avec ce gouvernement délétère pour l’émancipation, tu dresses un constat amer, qui ne réjouira personne et que nous partageons pour une large part.

Mais si ta tribune nous a interpellés, c’est avant tout parce qu’elle a fait écho à des constats qui nous ont animé il y a quelques années et nous incitent à te répondre, avec fraternité et bienveillance.

Voici. C’était en 2008. Nous étions plusieurs, d’horizons très divers, privé, public, associatif, militants collectifs ou penseurs solitaires, en France, à l’étranger, conscients à la fois des crises brutales et rapides de notre environnement global — le climat, les sols, la biodiversité — et du fonctionnement inégalitaire de notre société. Nous étions convaincus que les carburants du capitalisme, le pétrole et la frustration consumériste, étaient totalement antinomiques du bien-vivre et devaient être fondamentalement remis en cause. Pour nous, l’écologie et le social étaient les deux faces de la même pièce, nous étions sans nous connaître liés par une même ambition politique radicale. Électeurs parfois flottants — les Verts, le PS, le PCF, la gauche alternative… — écologistes autant que socialistes dans l’âme, nous ne nous sentions tentés par aucune chapelle. À cette époque, le paysage, il faut le dire, était morose. L’adhésion sans critique des Verts à la construction européenne, pourtant constitutionnellement néolibérale, nous semblait contradictoire avec les ressorts fondamentaux de la crise écologique. Les renoncements sociaux et le dogme libéral et croissanciste du PS le disqualifiaient d’entrée, enfin la cristallisation d’un PCF très « acier-nucléaire » l’enfermant dans le productivisme nous semblait une impasse.

Verts dehors, rouges dedans, ou vice-versa 

Alors, en 2008 nous fûmes nombreux, écologistes orphelins de parti, à répondre favorablement à l’appel de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de gauche aux écologistes, radicaux et décroissants, à faire le pari de construire un parti creuset. Avec une vigilance non feinte pour beaucoup, qui craignaient que nos camarades républicains et marxistes ne soient parfois éloignés de nos préoccupations biosphériques. Mais pour nous, le pari progressiste était et reste celui du débat argumenté ; et argumenté en effet il fut, et toucha juste.

Puis, nous fûmes d’autres, en 2009, à quitter le parti Les Verts et à rejoindre le Parti de gauche, à l’instar de la députée Martine Billard, tant il devenait clair que le « dépassement de la forme parti » proposé par Europe-Écologie revenait en fait à accréditer l’idée de la compatibilité de l’écologie politique avec le libéralisme. Et d’autres écologistes politiques continuèrent de venir, années après années. 

Nous investîmes donc le PG avec nos idées radicales, nos réflexions, nos doutes, nos propositions : revenu maximum autorisé, premières tranches d’eau et d’électricité gratuites, décision immédiate de sortie du nucléaire, transition énergétique sur la base du scénario Negawatt, agriculture paysanne et bio, régie publique de l’eau, limitation de la publicité, critique des media et radicalités concrètes… Autant d’éléments fondateurs de l’écologie politique qui furent intégrés au programme du PG dès ses premières années. 

Les combats écologistes endossés par le PG s’enchaînèrent ensuite avec, bien sûr, le refus de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et de tous les grands projets inutiles et imposés, du barrage de Sivens à Europacity, en passant par l’opposition à l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste et de couche, aux lignes à grande vitesse, au Lyon-Turin, aux projets autoroutiers, aux Center Parcs, ports méthaniers et autres centrales au gaz… Refus également des projets de fermes-usines au service de nos modes d’alimentation carnée et au mépris de la souffrance animale et de l’impérative prise en compte de la sensibilité des êtres vivants. Luttes enfin contre les multinationales des pesticides ou des OGM, de la mal-bouffe ou de la privatisation de l’eau, de la surexploitation des mers ou de la privatisation des forêts, de la pollution atmosphérique ou de l’empoisonnement aux substances chimiques…

Verts dehors, rouges dedans, ou vice-versa. Avec dérision dès 2008, nous nous reconnûmes au nom des « verts de rouge ». On innova — la planification écologique, débattue à l’Assemblée nationale suite à une proposition de loi déposée au nom du PG et pour laquelle tu votas —, on poussa les limites. On nous copia même — et tant mieux, les idées d’avenir n’ont pas de patente. On convertit aussi, par la raison et l’argumentation exigeantes, des camarades venus d’autres horizons, et nous devînmes tous écosocialistes en 2012. Des liens forts, politiques et humains, se sont tissés au fil de ces discussions argumentées, parfois animées, et la toile reste solide aujourd’hui. Le « champ magnétique de l’écologisme » que tu évoques a fait cohésion, et cohérence.

Le mouvement est vif et l’esprit en est toujours partageux 

Pourquoi t’écrire cela ? Pour te dire que nous partageons les mêmes « racines du ciel » ; nos idées et nos attentes sont proches, très proches. Et elles s’étendent et s’organisent dans la société. Depuis, le mouvement de justice climatique s’est considérablement renforcé, avec des mouvements comme Alternatiba et la Coalition climat 21 et le renouveau des actions écologistes, non violentes et déterminées. Aussi, moins que de refonder, et d’y investir la somme colossale que cela nécessite en temps et efforts militants, qui sont si rares et précieux, il nous semble urgent de renforcer l’existant.

Noël, tu l’as écrit : « Avant ou après 2017, dans la dynamique de la présidentielle ou dans la recomposition inéluctable du jour d’après, les écologistes seront devant leurs responsabilités. » Nous te le disons : n’attendons pas l’après-2017. Une bataille démocratique majeure approche, et nous ne pouvons accepter de rester coincés à l’étroit entre un gouvernement réactionnaire et l’épouvantail de la haine.

Nous avons perdu un quinquennat. Ce qui pouvait être fait en dix ans devra être fait en cinq, à commencer par la question nucléaire et l’arrêt des centrales les plus obsolètes. Les urgences sociales et écologiques que tu pointes à juste titre imposent de ne pas attendre « l’après » de l’échéance qui s’annonce. Il est plus urgent que jamais de poser les bases d’une politique qui redonne au peuple, et à notre jeunesse notamment, le pouvoir d’inventer le monde de demain. C’est ce que nous voulons faire en appuyant la France insoumise. Ces élections présidentielle et législatives sont une opportunité pour mettre au devant de la scène l’objectif écosocialiste. Ne les manquons pas !

Nous avons nous aussi beaucoup construit, tu le vois ; le mouvement est vif et l’esprit en est toujours partageux. Alors voilà, il ne s’agit ni de carte d’affiliation, ni de déférence à un drapeau et encore moins d’obédience à quiconque ou de « vassalisation ». Mais l’espace est là aujourd’hui, pour tous les insoumis. Viens, venez donc le remplir un temps avec nous. Demain sera toujours là si besoin est de faire table rase. Mais d’ici là, menons bataille ensemble. Il y a urgence.