Je viens de réaliser ma dernière intervention de l’année au Festival Emmaus Lescar-Pau, un débat sur climat et écosocialisme avec 150 personnes, joli exploit pour un matin de semaine, en plein milieu de l’été, dans un festival qui n’a pas encore vraiment commencé (les concerts démarrent ce soir). Les rencontres sont belles ici, avec celles et ceux qui font et agissent, depuis plus de trente ans, qui créent pièce par pièce un village autonome, avec sa ferme, son épicerie, sa recyclerie bien sûr et surtout ses choix de vie, des choix politiques assumés. Un endroit du “pas de côté” qui à mon avis aurait bien plus à Gébé.
Je vais maintenant couper enfin un peu pour une dizaine de jours de congés, mais avant cela, voici de quoi buller à l’ombre en belle compagnie. La Fondation de l’Ecologie Politique m’a en effet invitée à partager mes livres de chevet pour sa sélection de lectures d’été. Celle-ci se présente sous la forme d’amicales recommandations de la part de diverses personnalités, avec trois catégories : des essais récents en lien avec l’écologie politique, des « classiques de l’écologie », et des romans dont les sujets montrent une affinité avec les thématiques écologistes. Je me suis évidemment ruée sur cette dernière. L’occasion de parler de mes héros préférés Jack London et Joseph Kessel, et de revenir sur un livre qui m’a marquée, un été dans les rues de Marseille : Les racines du ciel…
Belle lecture, et bel été.
Les racines du ciel : une leçon de dignité humaine (Romain Gary, 1956)
Avec Le Lion de Joseph Kessel paru en 1958 et hélas toujours
considéré à tort comme un livre d’enfant, Les racines du ciel de son ami
Romain Gary publié en 1956 constitue le troisième volet d’une trilogie
entamée en 1903 avec L’appel de la forêt de Jack London. Trois romans
engagés, humanistes, à la fois désabusés et emplis de générosité, qui
signent les prémices du roman écologiste. Entre l’ère industrielle du
début de siècle de London et les années 50 du grandiose duo Kessel-Gary,
les guerres ont dévasté les coeurs et les esprits. Romain Gary a été
soldat et résistant, il a combattu sur tous les fronts, dans de nombreux
pays. Il a perdu des amis, et vécu à bord des bombardiers l’horreur de
la guerre. Cela se ressent dans Les racines du ciel, où se retrouve tout
au long du livre en filigrane cette lutte constante entre un pessimisme
lucide, le refus de la médiocrité humaine et la volonté de maintenir
coûte que coûte espoir et dignité par la lutte et la résistance. C’est
l’épopée individuelle d’un homme, Morel, rescapé des camps, qui engagera
sa vie à lutter contre l’extérmination des éléphants en Afrique. Loin
de se cantonner à la protection de la nature, ce que développe Gary
c’est une certaine idée de l’homme, une réflexion sur le colonialisme et
le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une aventure humaine où
les cyniques et les misanthropes ne sont pas ceux que l’on croit… Et
une formidable leçon de courage et de militantisme radical.
Relire Jack London : Radieuse Aurore (1910)
On connait tous, pour l’avoir lu gamin, le London de Croc Blanc, cet
émouvant appel de la nature qui souligne jusqu’à la douleur la
déchirante dualité entre mondes “sauvage” et “civilisé”. Certains se
souviennent aussi de Martin Eden, ce visage romantique des amours
contrariées par les différences de classe sociale. On connait un peu
moins, hors les réseaux militants, le London du Talon de Fer et ses
plongées dans les bas-fonds ouvriers où le gin coule à flots pour
oublier les maux de la journée… Mais là où Jack London est le plus
beau, c’est quand il combine son expérience “in-vivo” de la question
sociale et l’amorce de ce qu’on appellerait aujourd’hui écologie
politique. C’est le cas dans Radieuse Aurore, un de ses bouquins
injustement méconnus. Radieuse Aurore, c’est un chercheur d’or du début
du 20ème siècle, une force de la nature, un homme à la fois brut et
généreux, une tête brûlée qui fera l’expérience de l’ambition et de la
réussite matérielle, avant de découvrir l’immoralité totale du système.
Et comme dans tout grand roman, c’est l’amour d’une femme qui lui
ouvrira les yeux et le conduira in fine à prendre la seule décision qui
vaille : cesser de courir après la possession et l’accumulation, vivre
libres, fiers et heureux.