La nature n’a pas de morale, elle cherche l’équilibre, Chronique publiée sur Reporterre le 7 octobre 2017
Dans ma dernière chronique d’un été entre fiction et réalité, j‘évoquais « la pyrale blanche, qui annihile les buis dans nos montagnes et augmente les risques d’incendie, forme de véritables nuées qui de nuit trompent le regard comme autant de flocons de neige en plein été ». Aujourd’hui ce ne sont ni les papillons ni les chenilles, mais simplement l’automne qui racornit et jaunit les feuilles en altitude. Comme un ruissellement d’ocres qui dévale la montagne des sommets vers la vallée. Et du côté de la pyrale, on est peut-être en train d’assister à une belle leçon de résilience : l’écosystème combiné de verticalité, de forêt et d’habitants emplumés est en train de produire un petit miracle là où l’action humaine, malgré toute son ingéniosité, avait jusqu’ici échoué.
Les chenilles de la pyrale passent l’hiver dans leur cocon et deviennent chenilles en février-mars. Elles se précipitent alors sur les jeunes feuilles de buis au moment où celles-ci sont tendres à souhait. On en croise des files indiennes interminables quand on se balade dans nos forêts de montagne tout au début du printemps. Mais la pyrale a enfin trouvé son prédateur naturel, dix ans après son apparition : alors qu’on plaidait contre les produits à losange-rouge-point-d’exclamation qui tuent la pyrale mais aussi les abeilles, qu’on réfléchissait à les brûler, qu’on installait des sortes de gouttières circulaires pour les piéger, qu’on calculait ce que cela coûterait à la collectivité, c’est encore une mésange qui vient nous sauver.
Comme souvent c’est une histoire de protéines, de gourmandise peut-être : la mésange s’intéresse de plus en plus près à ces nouvelles nourritures bien utiles à la croissance des petits ou à la fortification volatile d’avant migration. Sur la liste des convives, on retrouve également le pic épeiche ou les guêpes parasitoïdes. Et alors qu’elle cherchait des moyens de destruction, l’action des collectivités devient installation de nichoirs à mésanges, tandis que l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) organise le lâcher de trichogrammes, sorte de minuscules guêpes dont les larves dévorent les œufs de la pyrale, une parade déjà utilisée pour le maïs. En espérant que ces guêpes n’introduisent pas à leur tour de nouveaux déséquilibres…
Le prédateur n’est pas forcément l’ennemi
Dans le dernier Godzilla, sorti en salles en 2014, deux monstres (joliment prénommés Muto, pour «mutant ultime terrestre d’origine inconnue») sont réveillés par un accident nucléaire : leur aliment de base étant la radioactivité, et tout ragaillardis par les ogives nucléaires complaisamment fournies par l’armée états-unienne qui n’avait pas bien compris, ils se mettent à allègrement détruire Hawaï et à ravager la côte ouest des États-Unis. Face à eux, arrive un troisième monstre : Godzilla, qui dans ce film n’est pas la masse destructrice née du traumatisme japonais à laquelle on est habitué, mais au contraire un « alpha prédateur », une force de la nature dont le rôle est de chasser les deux Muto pour restaurer l’équilibre. Et, de facto, sauver les hommes, une sorte d’antidote écosystémique. Malheureusement les hommes — les militaires surtout, il faut bien l’avouer — mettent un temps infini à comprendre que le prédateur n’est pas forcément l’ennemi.
Bien sûr, on se sent spontanément du côté de la gazelle assaillie par le lion, de la mouche qui se débat dans une toile d’araignée, du lézard sous les griffes de mon chat. Mais même les cafards ont leur utilité. Sûrement. Quand on appréhende la complexité d’un écosystème, on est souvent surpris. A la fois de la capacité de la nature à s’adapter, et de la capacité des « méchants » à rendre des services « gentils ». Parce que la nature ne connaît pas de morale, pas de manichéisme, juste des équilibres à préserver, des déséquilibres à corriger.
Mais il lui faut du temps, ce temps qu’on ne lui laisse pas avec le climat et les phénomènes d’emballement qui ont commencé. Certains arbres, par exemple, n’auront pas le temps de migrer à temps pour faire face à la hausse des températures. Les espèces cultivées s’adaptent et remontent moins vite vers le Nord que certaines maladies qui font leur apparition sous des latitudes jusqu’ici épargnées. Parfois, le prédateur est plus lent que le ravageur… Bien malin celui qui peut prédire ce que tout ça donnera.
On sous-estime peut-être la capacité de la nature à s’adapter au changement, mais encore faut-il lui en laisser une chance : s’il fait trop chaud au printemps, les petits des mésanges naîtront à un moment où les chenilles de la pyrale seront déjà devenues papillons.