Voici mes dernières recensions, rédigées pour le magazine Yggdrasil, parues dans les numéros passés. Dans le numéro en cours, disponible en librairie ou à commander sur le site, vous trouverez une recension du Lion de Joseph Kessel et dans le prochain, à la rentrée, le magnifique roman “L’homme qui savait la langue des serpents” d’Andrus Kivirähk sera à l’honneur ! Belles lectures.

Mythopoïèse, d’Alessandro Pignocchi (éditions Steinkis, 2020)

La dérision et l’absurde en guise de munitions, Alessandro Pignocchi est sans conteste l’as du pas de côté qui permet de porter un regard décalé et salutaire sur notre civilisation, qu’il écrit et dessine dans des bandes dessinées.

Après avoir, dans Anent, suivi les traces de l’anthropologue Philippe Descola en Amazonie et y avoir constaté, un peu dépité, que le monde moderne avait là aussi envahi les modes de vie, Alessandro Pignocchi n’a pas renoncé. Ni à rendre visite aux Jivaros Achuar, ni à traquer les absurdités contemporaines, ni à sonder les territoires où s’inventent d’autres manières d’être vivant. Ainsi de la ZAD de Notre Dame des Landes qui le percute et lui inspire « La recomposition des mondes », où il livre son expérience du combat avec la sincérité d’un regard à la fois extérieur et embarqué.

Mais l’acme de ce ton décalé et ravageur, il l’a placé dans une série intitulée « Petit traité d’écologie sauvage » dont le troisième tome, « Mythopoïèse », vient de sortir aux éditions Steinkis. On y retrouve l’humour totalement jubilatoire dont il gratifie ses mésanges punks et autres pinsons anarcho-autonomes, obsédés par l’idée de transformer l’Intermarché du coin en boule à facettes. Alessandro a le chic pour dépeindre les délires et délices d’une société occidentale convertie à l’animisme, et nous donner comme une furieuse envie de ce monde où Emmanuel Macron délire en palmes, accro à l’ayawaska (ou ayahuasca), pendant que Donald Trump tente d’apprivoiser une belette, où les CRS tremblent devant des manifestants munis de masques d’animaux, et où un anthropologue Jivaro s’interroge sur nos rituels de marché et nos palimpsestes électoraux.

Pour s’évader de notre société sans éclat, se défouler avec de charmantes bombes à plumes, sourire de nos propres incongruités et souffler un instant, tout simplement. À lire.

« Je crois en la forêt, en la prairie et en la nuit où pousse le maïs », une pièce écrite par Julie Cordier et mise en scène par Marianne Téton, à partir de 9 ans (2020)

« Je crois en la forêt, en la prairie et en la nuit où pousse le maïs » est une phrase extraite de Marcher d’Henry David Thoreau, qui sert de titre-hommage à la pièce écrite par Julie Cordier et mise en scène par Marianne Téton, dans le cadre des Controverses de la Comédie de Valence.

Le pitch : un garçon de 13 ans gagne un concours de nouvelles destiné à inventer le futur mais, victime d’un attentat, il est plongé dans le coma et se réveille des années plus tard, dans le corps d’un jeune adulte, propulsé dans l’univers de sa nouvelle devenue réalité. Celle-ci prend décor sur des îles traversées par les vents, où a accosté il y a quelques années une jeunesse révoltée par les destructions et les pollutions, le chaos climatique et l’inaction de leurs aînés. Il s’y invente une autre manière de vivre, faite de magie, de résistance et d’assemblées aux débats parfois houleux.

Conçue au cours d’une série de résidences avec des scolaires drômois cet hiver, la pièce aborde les deux thèmes principaux des Controverses : la désobéissance civique et l’état accablant des écosystèmes, mais elle évoque aussi en filigrane la fonction politique de l’imaginaire. Loin de toute injonction moraliste, « Je crois en la forêt… » traite également de la figure du anti-héros dans une scène très touchante où Vostok, accablé de la gloire qui lui est prêtée, finit par “avouer” ne pas être celui que les enfants imaginent et avoir toujours eu peur de manifester.

On y croise l’œuvre de Miyazaki, un navire nommé Yggdrasil, de nombreuses références à l’Antarctique et à ses expéditions mythiques, comme en témoignent les prénoms des deux personnages principaux, les jeunes Vostok et Endurance joués par Marius Carreau et Adèle Grasset. Il y est enfin question, comme un reflet de la Méditerranée, d’un navire qui demande à accoster et d’îlots, caches et abris, cabanes de résistance disséminées dans les interstices d’une société creuse et ravagée…