Chronique publiée sur Reporterre le 1er décembre 2016
Parce que nos trains le valent bien, une chronique spéciale en trois épisodes consacrée au rail : sa dimension sensuelle et romanesque, la casse qu’en ont fait les politiciens, et enfin, dans le troisième et dernier épisode, un appel au coup de klaxon citoyen. (pour lire la première Ode au rail 1/3 “Crains qu’un jour un train ne t’émeuve plus”… c’est là)
Si tout le monde aime le train, le développement du rail devrait être un sujet en or, jalousement protégé, revendiqué, instrumentalisé, même, par les politiques : ils surfent sur tout, pourquoi pas sur cette vague de sympathie ferroviaire tirée de notre imaginaire collectif ? Après tout, ils défilent bien à côté des vaches pour s’assurer la sympathie d’un imaginaire paysan, se pressent en gilets fluo sur des chantiers pour se donner une allure industrielle, n’hésitent pas même à se faire photographier en train de boire un verre au comptoir d’un bistrot de quartier pour asseoir leur côté populaire… Que ne posent-ils pas devant un train, la mine fière, un pied sur le marchepied ?
Je ne comprends pas. Tous les arguments sont là pour faire du rail un modèle d’avenir. L’absolue nécessité de réduire la pollution de l’air, notamment dans nos vallées alpines, dont le coût est estimé à 100 milliards d’euros par an selon un rapport du Sénat. L’objectif de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, qui devrait rendre évident le développement du transport ferroviaire, tant pour les passagers que pour les marchandises. La sécurité routière, la santé publique, le climat. Et pourtant…
Les lois issues du Grenelle de l’environnement prévoyaient de faire passer la part du fret ferroviaire et fluvial de 14 à 25 % à l’horizon 2022, et à plus brève échéance d’augmenter cette part de 25 % entre 2006 et 2012. Or, cette part a dégringolé de 21,7 % en 1990 à 17,9 % en 2000, 12,7 % en 2005 et seulement 11,9 % en 2012 ! Tout a été fait au contraire pour saccager le fret ferroviaire, de l’arrêt en 2010 de la politique de « wagons isolés » de la SNCF à l’autorisation par le gouvernement, en décembre 2012, de circulation des 44 tonnes sur nos routes. Incompréhensible, alors qu’un rapport au Parlement du ministère de l’Écologie estimait que cette autorisation entrainerait mécaniquement une baisse de 1,8 % du trafic pour le fluvial, 2,5 % pour le fret ferroviaire, et 400 à 500 millions de coûts d’entretien des routes supplémentaires.
Même les cheminots jettent l’éponge
Ces informations sont publiques, elles sont connues. Aucun décideur politique ne peut ignorer qu’en prenant en compte tous les coûts externes, le train est un mode de déplacement 3 fois plus performant que la voiture et 1,5 fois plus que le car, et que transporter une marchandise par le rail coûte en réalité 4 fois moins cher que la route à la collectivité !
Pourquoi diable s’acharnent-ils tous ainsi à tuer le rail ? Nos trains…
Entre l’arnaque des cars Macron, la suppression des trains de nuit de monsieur Vidalies (merci !), les grosses envies d’autoroutes de monsieur Wauquiez, les logiques libérales de la direction de la SNCF et les paquets européens de Bruxelles, le rail devient une espèce menacée.
Il faut beaucoup d’efforts pour ne pas se figurer que le cheval de fer est une bête véritable. On l’entend souffler au repos, se lamenter au départ, japper en route ; il sue, il tremble, il hennit, il se ralentit, il s’emporte (…) et son haleine s’en va sur nos têtes en beaux nuages de fumée blanche qui se déchirent aux arbres de la route »
Victor Hugo, Voyage en Belgique
Même les cheminots jettent l’éponge. La SNCF impose des cadences infernales, et avec les conditions de travail dégradées, elle n’arrive plus à recruter de conducteurs. Des lignes sont menacées, des guichets risquent de fermer. Les tarifs augmentent, l’entreprise s’endette dans des choix hasardeux où elle se concurrence elle-même, les effectifs fondent comme neige au soleil : la suppression de 1.400 postes annoncée en 2016, 25.000 départs non remplacés depuis 2003 ! Et le gouvernement ne trouve rien de mieux à faire que d’alourdir la charge en commandant à Alstom des rames inadaptées et dont la production en plus est délocalisée ! C’est incompréhensible.
À suivre…