Territoire de pastoralisme et de tourisme, réserve d’eau et de paysages, la montagne est une véritable sentinelle du climat : l’impact y est fort et les choix politiques, désastreux. Élue d’opposition dans la Région de Laurent Wauquiez, je siège en commission Montagne. Un poste d’observation privilégié pour avoir la rage au cœur de ce qui est en train de se passer.
En décembre dernier, j’ai été invitée par France 3 Régions pour parler de l’avenir des stations de ski face au réchauffement climatique. L’émission s’appelait « Coup de chaud sur nos stations ». Pour la préparer, j’ai actualisé mes chiffres et compilé les dernières études sur la montagne. Le bilan effectué par Ludovic Ravanel sur le Mont Blanc et les effets de la canicule 2018 m’a une fois de plus édifiée. Le papier de Lyon Capitale « Les paradis artificiels de Laurent Wauquiez » également. Tout cela allait dans le sens habituel, terrible et habituel, que j’observe depuis des années attentivement : le réchauffement est deux fois plus important en altitude (+1,9°C en moins de 50 ans au Col de Porte (Isère) à 1.325 mètres d’altitude), il provoque le dégel du permafrost qui sert de ciment aux montagnes et provoque des écroulements. Il entraîne également un déficit d’enneigement et le recul des glaciers. Enfin, et cela est également valable en vallée, les sécheresses se multiplient. C’est ainsi qu’on a vu cet automne le Lac d’Annecy à sec et des villages ravitaillés en eau potable par camion citerne.
Bonus. Quand le Mont Blanc nous parle du monde.
Ludovic Ravanel, guide de haute montagne et chercheur au CNRS, a fait le bilan de la canicule 2018 après celles de 2015, de 2017, et avant celles à venir. Alpinistes, guides, tous les acteurs sonnent l’alarme, tout le monde le voit : le permafrost, ciment de nos montagnes présent sur les versants nord dès 2500 mètres, fond. On parle là d’une glace qui a jusqu’à 4000 ans, qui a tenu tout ce temps… “On est en train de faire fondre un véritable patrimoine. Encore quelques canicules comme ça et il n’y aura plus du tout de glace”. Ce sont déjà des dizaines de milliers de mètres cube qui se détachent et s’effondrent dans le massif du Mont Blanc chaque année. Des glaciologues de Zurich estiment qu’en 2100 on aura perdu 80% des surfaces glacières. D’ici là, les prévisions des climatologues nous placent sur une trajectoire au-delà des +4°C, soit deux fois plus dans les Alpes où le réchauffement climatique double par rapport à la moyenne, soit une hausse de +8 à +10°C d’ici la fin du siècle, hausse qui a déjà commencé.
Mais j’ai également été alertée alors par une nouvelle étude, sortie quelques jours avant l’émission. La tonalité fort optimiste donnée à son relais par le Dauphiné Libéré tranchait : « L’équipement accru des stations en neige de culture devrait nettement atténuer les effets du réchauffement climatique sur l’activité ski en Isère d’ici 2050 ». Cette étude commandée par le département, consacrée à l’enneigement artificiel, concluait à l’absence de conflits d’usage sur l’eau à horizon 2050. Pour le moins contre-intuitif, alors que le maire de la Clusaz venait de faire sensation en annonçant que la moitié des réserves destinées à la neige artificielle allait être remise dans le circuit d’eau courante. Sachant que selon la même étude la demande en eau due à l’enneigement artificiel avait déjà triplé en 15 ans et allait encore augmenter de 50 % : en conséquence, la capacité de stockage devait être multipliée par deux d’ici 2025. Au regard des interdictions de prélèvement qui s’étaient multipliées en Haute Savoie, dans le Vercors ou le Grésivaudan, c’était assez surprenant.
Après quelques coups de fils et recherches, j’ai néanmoins réussi à en apprendre plus. D’abord, cette étude ne portait bien que sur les 23 stations iséroises, et non sur les départements où la situation sur la ressource en eau est beaucoup plus tendue. Ensuite, l’hypothèse des chercheurs, Irstea et Météo France, était qu’il neigerait moins mais qu’il pleuvrait plus. Bref, ils concluaient au fait que l’eau ne serait pas un problème, tout en précisant tout de même que l’eau ne pourrait pas toujours être prélevée sur les retenues pour cause d’arrêtés, de débits réservés ou d’installations sous-dimensionnées. Naturellement, cette petite précision d’importance n’avait pas été soulignée dans le communiqué du département (se contenant d’un sobre « Aujourd’hui et dans les années à venir, il y a peu de réels conflits d’usage sur la ressource en eau sur le département de l’Isère. » ). Pas plus que le souvenir inquiétant de cet été où des travaux de terrassement de piste et de neige artificielle à Chamrousse avaient changé l’eau potable en boue dans le village d’Herbeys.
J’écrivais alors à des amis montagnards : « Ne nous leurrons pas, c’est un coup dur. Cette étude va faire beaucoup de mal et va nous être brandie à chaque fois. A commencer par dimanche sur France 3 ».
Je me trompais, sur France 3 il n’en fut pas question, tout allat très vite et mes fiches restèrent dans ma poche.
Mais le répit ne fut que de courte durée.
Le 8 février dernier, je siégeais en commission Montagne à la Région. L’inénarrable Gilles Chabert présidait en tant que conseiller spécial à la Montagne de Laurent Wauquiez, mais également ex-administrateur de la Compagnie des Alpes et ancien président du Syndicat national des moniteurs du ski français (mélange de casquettes qui lui a valu une saisine au Procureur de la République en février 2017, suivie de l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée à la police judiciaire de Lyon pour « soupçon de prise illégale d’intérêts »). A ses côtés, une invitée : Chantal Carlioz, vice-présidente à la montagne et au tourisme du département de l’Isère et maire (Les Républicains) de Villard-de-Lans. Tous deux réunis pour nous présenter la fameuse étude qui, selon Gilles Chabert : « nous conforte, ce n’est pas totalement foutu tout de suite », annonce la fin de « ce ‘vautour noir’ en montagne qui est qu’on n’aura plus d’eau » et cloue le bec aux « extrémistes » (comprendre : les écolos). La Vice présidente de l’Isère, à son tour, enfonçait le clou : « il nous fallait réagir face au réchauffement climatique, sortir du ‘pour ou contre’ avec du factuel : en montagne c’est l’économie qui décide » et de se féliciter également : « le ski n’est pas mort, le problème n’est pas l’enneigement mais la soutenabilité financière ». Le tout, en nous expliquant que le public finance bien les piscines, qui pourtant gardent l’eau, il peut donc tout de même financer les canons à neige, qui eux la restituent. Imparable.
Et il faut reconnaître que la Région ne lésine pas sur le soutien financier : on en est à 39 millions d’euros, juste pour la neige artificielle, en moins de trois ans. Des sommes non négligeables en période d’austérité et de coupes budgétaires sur d’autres domaines du quotidien, qui valaient bien une étude effectivement.
Malheureusement, le volet économique de l’étude, réalisé par KPMG, n’est pas accessible : les données financières des stations sont sensibles. On n’en saura donc pas plus concernant le risque d’endettement sur lequel je ne cesse d’alerter : une partie seulement des investissements est prise en charge par la collectivité (la part Région est plafonnée à 30%). Les sommes restant à la charge des stations représentent tout de même 45 % des investissements dans les petites et moyennes stations et nécessiteront de « mobiliser 2,5 années de chiffre d’affaires, soit réinvestir 50% du CA sur les 5 prochaines années ». Il faudra donc, selon KPMG, un « effort d’endettement élevé ».
A ma question, l’expert présent en commission me répondra qu’il faut « prendre en compte la performance économique de chaque station » et, je cite : « des choix stratégiques de priorisation ». Certes. Mais quid de l’effet d’aubaine face à cette manne financière de la Région qui fait ruisseler des centaines de milliers d’euros sur des projets sans aucun critère à respecter ? Quid du risque que ces stations se précipitent dans la neige artificielle en abandonnant leurs stratégies de diversification (pour 39 millions investis par la Région dans la neige artificielle, 1,5 million seulement a été investi sur la même période dans le volet « aide à la diversification des petites stations »), en recourant à des emprunts qui risquent de plomber leurs finances ? Ces risques ont pourtant déjà été pointés par la Cour des Comptes et se confirment dans les témoignages, comme celui du Maire de Vallorcines, petite station jusqu’ici vierge de tout canon à neige, qui admettait, face à cet appel d’air financier : “C’est vrai qu’on étudie la possibilité d’investir“.
Les stations vont-elles se retrouver sous tutelle, avec de beaux canons à neige qui ne pourront plus fonctionner, faute de froid, d’eau et d’énergie ? Car il en faut de l’énergie pour remonter sur des centaines de mètres l’eau pompée jusqu’aux pistes… Or cet aspect est totalement absent de l’étude. Réponse cinglante de Gilles Chabert, qui a au moins le mérite d’être clair : « A eux de voir ». Et de me confirmer, comme depuis trois ans, qu’il n’y aura donc pas de critères pour ces subventions : ni indicateurs économiques, ni d’altitude, ni de taux d’enneigement. La Région va donc continuer à financer à corps perdu des équipements à 1.050 mètres d’altitude comme au Mont Dore, ou permettre à Valmorel de se brancher directement sur le barrage EDF, ou encore continuer à aider les très grandes stations dont la même étude prouve pourtant que leur fréquentation n’a aucun lien avec le taux d’enneigement. Le tout, sans aucun plafond de budget, une anomalie dans le fonctionnement de la Région. Au moins le département de l’Isère a lui fixé des limites : 42 % des surfaces enneigées, pour 47,7 millions d’euros, à horizon 2025.
D’ici là, qui sait où on en sera ? Les études prévoient qu’il n’y aura plus aucune station sous 2500 mètres d’altitude d’ici la fin du siècle, si on tient jusque là. On aura de jolis fronts de neige enneigés artificiellement pour assurer la liaison et des remontées mécaniques en pagaille, qui nous emporteront jusqu’à des sommets où il n’y aura plus un flocon. Mais les skieurs pourraient venir à manquer avant la neige : la pratique est bien chère en pleine crise économique : seuls 8 % des français skient une année sur deux, et les jeunes se détournent de plus en plus des pistes. Selon une étude publiée par le Financial Times, le nombre de skieurs dans les Alpes a baissé de 14 % en dix ans. La clientèle internationale, riche, extrêmement mobile, va là où la neige tombe, pas où elle est crachée. Encore moins sur un ruban de quelques mètres entouré d’herbes sèches. Et ce n’est pas l’action du Comité régional du tourisme de la Région, qui veut faire venir les skieurs chinois via une ligne aérienne directe sur l’aéroport de Lyon Saint Exupéry ou encore favoriser l’implantation de compagnies low-cost sur Grenoble, qui va aider.
Bonus. Mountain Wilderness lance l’opération « Encordés pour le climat » le 9 mars à Grenoble
« Ça chauffe en montagne ! Les rochers s’effondrent, les glaciers disparaissent, la biodiversité souffre… Habitants, pratiquants et professionnels de la montagne voient leurs espaces de vie et leurs pratiques modifiés. Face à l’urgence climatique, la communauté montagnarde appelle à se rassembler pour témoigner de l’accélération du réchauffement en montagne. Citoyens montagnards, passons à l’action : Encordons-nous pour le climat et portons haut et fort l’urgence d’agir maintenant ! »
Rendez-vous à 14h en haut de la Bastille. Nous progresserons tous ensemble, encordés, jusqu’au centre-ville de Grenoble, dans la symbolique des montagnards qui descendent témoigner de ce qui se passe là-haut. Apportez cordes et casques de montagne. Nous invitons par ailleurs tous les participants à amener une photo imprimée de leur montagne : en danger, rêvée ou aimée… Nous afficherons ces images à notre point d’arrivée, place Grenette, au cœur de la ville.
Contact : sentinelles@mountainwilderness.fr
Entendons nous bien, que les stations jouent leur partition est bien sûr compréhensible. Mais le rôle des collectivités publiques n’est pas de souffler dans le sens du vent. Le devoir des politiques est de prévenir, d’aider les stations à se diversifier et s’adapter avant qu’il n’y ait plus de neige, innover pour un tourisme différent, qui puisse se décliner toute l’année , basé non sur nos faiblesses mais sur nos atouts : les paysages, la gastronomie, la culture, les sports pleine nature, la randonnée et les refuges, la reconnexion avec les écosystèmes. Toutes les études récentes pointent que ce que recherchent aujourd’hui les visiteurs en montagne sont avant tout la détente, le contact à la nature, la recherche d’authenticité et de sérénité. Le directeur de l’innovation à la Compagnie des Alpes lui-même évoquait lors d’un colloque à la Région en octobre les “3R” : rupture, retrouvailles et ressourcement. Les stages de yoga et de méditation associés à la marche en montagne explosent. La pratique de l’escalade a augmenté de plus de 35% selon la Fédération française et une enquête du Ministère du Tourisme indique que les Français sont plus de 5 millions à pratiquer la randonnée. La montagne est loin de se résumer au ski.
Il devient enfin urgent de penser aux 97 % de territoires de montagne qui ne sont pas des pistes, aux habitant-e-s qui y vivent toute l’année, et prioriser l’aide à celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Las. Pire que de la fuite en avant, on assiste en montagne à la cécité scélérate d’acteurs qui ont les infos, les leviers et les financements, mais refusent de voir la réalité et d’anticiper pour le bien de ces territoires et populations qu’ils prétendent aider. C’est l’histoire folle de pompiers pyromanes qui, pour prolonger le plaisir, misent sur des facteurs d’aggravation : davantage d’avions et donc de gaz à effet de serre pour faire venir les skieurs, débauche d’énergie pour pomper l’eau jusqu’aux pistes, arasement de pans entiers de montagne, multiplication de retenues qui captent l’eau et l’empêchent de ruisseler. Le pari fou de joueurs de poker qui, à l’heure où la menace d’effondrement se fait de plus en plus grave, mettent tous leurs jetons sur les deux éléments qui vont le plus venir à manquer : l’eau et le froid.
En fait tout ça est juste complètement fou.
Cette commission Montagne du 8 février s’est conclue sur l’auto-congratulation bruyante d’un Gilles Chabert sourd aux remarques, tout content que cette étude « valide les choix » de la Région. Au regard des messages que j’ai reçus ensuite je n’ai pas été la seule à me sentir choquée de cette récupération pour le moins partiale du travail des scientifiques. Las, pendant la commission, j’ai été la seule à intervenir. Et sur ce qu’il se passera après 2025, sur le volet énergie absent de l’étude, sur les subventions aveugles, le risque d’endettement des petites stations, sur ma proposition d’étendre cette étude à l’ensemble des départements de la région, je n’aurai obtenu aucune réaction.
Au moins cette fois suis-je sortie accompagnée d’un « vautour noir », en plus des « libellules dépressives » dont Monsieur Chabert m’avait déjà affublée.
Et vous savez quoi ? En vrai, cette compagnie me va.