Cartouches (44)
Une très belle recension de “Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce”, sous la plume toujours aussi poétique et affûtée de [R.B.], dans les Cartouches du mois de Ballast.
Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, de Corinne Morel Darleux
Alors même que tout semble aller au plus mal, ce n’est pas une raison pour abandonner la beauté aux affreux. Ce qui est beau est bien souvent imparfait, chaotique, jaillit de mélanges paradoxaux. Par exemple : un navigateur qui illustre le « refus de parvenir », des promenades dans le Vercors, un écrivain un temps insaisissable, une anarchiste américaine… Autant de figures et de situations que Corinne Morel Darleux juxtapose afin qu’elles correspondent et résonnent. « J’ai envie d’un livre d’intuitions qui donne à penser tout en laissant des espaces de liberté et de fiction. De fondus et d’ellipses… » Un beau livre donc que celui-ci. Un ensemble de « réflexions sur l’effondrement » qui invite à la réaction contre et à l’agir avec, plutôt qu’au visionnage sans voix de ce qui se disloque. Autant de réactions qu’a pu observer l’autrice au Rojava ou en compagnie des activistes d’Extinction Rebellion ; puissance d’agir qu’elle a pu apprécier depuis son Diois d’adoption. Car si elle nous invite à prendre parti ici et maintenant, ce n’est pas sans célébrer ces moments suspendus et simples qui donnent l’énergie nécessaire à toute lutte. « S’il n’existe plus de géographie du refuge hors l’exil, et que l’on veut continuer à vivre en société, parce que chacun n’a pas la possibilité de s’échapper en mer ou vers les sommets, alors il faut trouver ailleurs, en soi, la manière de s’extraire de la Machine et de faire corps avec le corps vivant contre le Monstre. » Reprendre des forces pour plonger ensuite de plus bel. Le refus originel du navigateur Bernard Moitessier agit comme une boussole pour orienter les pensées de l’autrice autant que de celui ou celle qui la lit. « Refuser de parvenir », une expression qui irrigue les pages et s’installe comme un mantra au fil de la lecture. Corinne Morel Darleux offre une éthique pessimiste mais joyeuse, bienveillante mais combattive pour affronter ce qui vient et que l’on ose à peine entrevoir. [R.B.]