Ma chronique pour le magazine Imagine, publiée dans le numéro d’été Juillet-Aout 2021.

On entend régulièrement parler d’écologie punitive et de « khmers verts ». Des tyrans qui voudraient supprimer les rêves de pilote de ligne, le droit au sapin devant l’Hôtel de Ville, ou encore nous priver des goodies lancés depuis la caravane motorisée du Tour de France. Les chantres de la « liberté » et de la « démocratie » sont à cor et à cris. Pendant ce temps, à bas bruit médiatique, le taux de dioxyde de carbone a atteint un niveau inégalé depuis le Pliocène – une époque où l’être humain, les Airbus, les gadgets publicitaires et le Père Noël n’avaient pas encore fait leur apparition sur Terre.

Cette écume revancharde vis à vis des élu-es écologistes ne doit cependant pas empêcher d’aborder sérieusement une vraie question : les mesures qui devraient être prises, qui auraient déjà du être prises depuis longtemps, sont impopulaires. Il n’y a qu’à voir la levée de boucliers dès qu’on suggère de limiter la vitesse sur autoroute à 110 km/h. Alors refuser la 5G et boycotter Amazon, se mettre au vélo, devenir végétarien, payer des taxes supplémentaires ou renoncer aux voyages organisés… Il est évident que c’est mal barré.

Comment, dans ce cadre, gérer le paradoxe de la nécessaire participation citoyenne sur des sujets dont personne ne semble avoir envie d’entendre parler ? Comment limiter le « droit » à ravager les écosystèmes, à exploiter la main d’œuvre et à polluer, quand le droit à consommer est considéré comme une liberté fondamentale ? Finalement, comment ne pas se résoudre à se comporter en avant-garde éclairée ?

En cherchant à comprendre ce qui coince, pour commencer.

Payer de nouveaux impôts ? Quand les services publics qu’ils sont censés financer sont partout sabrés et que les aides publiques vont à des multinationales du CAC40 qui, en pleine pandémie, ont versé des dividendes supérieurs à leurs profits ? Renoncer à l’avion, au quad du petit et aux loisirs motorisés, quand Emmanuel Macron fait du jet-ski tous les étés dans une réserve naturelle protégée ? Faire des efforts, encore ? Quand l’aide alimentaire a doublé en une année, que des dizaines de milliers d’emplois sont menacés et alors que Gérard Mestrallet a touché 10 millions d’euros pour assurer la médiation entre Suez et Veolia ?

Oui, il faudrait. Car paradoxalement il n’y a plus d’acte dérisoire à ce niveau d’urgence et de de gravité. Parce qu’il en va de sa dignité d’individu pensant et agissant. Mais reconnaissons que ça puisse paraître salé. Amer et salé.

Il existe pourtant des leviers collectifs pour établir le cadre de société dans lequel la sobriété peut devenir volontaire. Ceux d’une écologie politique réfléchie, qui sait que les comportements individuels sont traversés de contraintes matérielles et de rapports sociaux.

Augmenter la progressivité de l’impôt, rétablir l’ISF, renforcer les boucliers sociaux et réduire le temps de travail pour que chacun-e redevienne disponible à la participation éclairée, rendre les premières tranches d’eau et d’énergie gratuites en sanctionnant les consommations abusives, interdire les licenciements boursiers, favoriser une agriculture paysanne et de qualité, encourager les initiatives autogérées. Voilà qui embellirait la vie, non ?

L’effort à fournir dépend d’une impulsion collective et politique. Et il pourrait même alors devenir source de plaisir. Faute de quoi on va tout droit vers des quotas individuels ou une bourse à ce qu’il reste de naturel, son accaparement par une oligarchie… et l’absence de sapin de Noël apparaîtra enfin pour ce qu’elle est, le dernier de nos soucis.

 

Photographie : auteur inconnu, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons