Je vous parlais hier ici de ce travail de fines brutes que nous avons réalisé sur le budget de la Région : afin de proposer des amendements qui ne consistent pas juste à enlever ce que Laurent Wauquiez a mis sur une ligne pour le remettre là où il l’a enlevé, ce qui n’existe qu’en rêve et présente en soi assez peu d’intérêt car aucune chance de faire bouger les lignes, il faut ruser : un amendement budgétaire doit forcément avoir un impact sur le budget, c’est bête mais c’est parfois compliqué. Par exemple, on ne peut pas juste dire qu’il faut des critères sociaux et environnementaux dans les aides versées aux grandes entreprises, parce que ça n’a pas forcément d’incidence budgétaire. Deuxième difficulté : le budget doit évidemment rester équilibré, donc ce qu’on met pour financer notre amendement, on doit le prendre ailleurs, pour chacune de nos propositions. Mais comme on a juste les tableaux de synthèse, sans l’affectation des sommes, c’est difficile de savoir où on peut « gager ». En même temps, ça permet de rêver : de même qu’on peut très bien décider que ses impôts financent l’éducation et non les réceptions de l’Elysée, là on peut toujours se dire qu’on prend sur les 132 millions de l’A45 pour financer les produits bio dans les cantines si on veut, par exemple. Je vous passe les subtilités entre autorisations d’engagement ou de programme, crédits de paiement et de fonctionnement, chapitres, rubriques et sous-fonctions… Au final, nous avons déposé 30 amendements sur l’ensemble des compétences de la Région.
> Voir la présentation de l’ensemble de nos amendements ici – Dossier_de_presse du groupe du Rassemblement RCES (fichier PDF)
Pour ce qui a plus particulièrement occupé mes journées, vous ne serez pas surpris de retrouver ma prédilection habituelle envers la montagne. J’ai ainsi proposé un amendement visant à disposer d’études sérieuses sur l’impact des canons à neige : économique, social et environnemental, sur l’endettement des structures bénéficiaires, les véritables retombées économiques locales (histoire de vérifier la fameuse théorie du ruissellement), la consommation en eau et en énergie (voir à ce sujet cet excellent papier de Barnabé Binctin “Boire ou skier faudra-t-il bientôt choisir” paru hier dans Bastamag), en prenant en compte les coûts d’entretien et de fonctionnement, la durée de l’amortissement, le temps réel de fonctionnement par saison, bref : le retour sur investissement. On en est tout de même à 32 millions d’euros de financement régional… Je demande aussi un soutien aux programmes de recherche sur l’impact du réchauffement climatique en montagne et les politiques régionales d’adaptation, sur lesquels de nombreux acteurs existent déjà : Irstea, Météo France, LabEx Item à Grenoble, CREA, doctorants.
Coup de chance – je n’en attendais pas tant pour m’aider à défendre cet amendement : dans le budget 2018 il est bien spécifié dans la partie « environnement » que « la Région est impactée par les effets du changement climatique notamment en zone de montagne (fonte des glaciers et du permafrost) et dans la vallée du Rhône avec l’évolution générale de son climat vers un climat plus méditerranéen nécessitant d’adapter nos pratiques. L’augmentation de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes est dorénavant visible et pose la question du développement de la gestion intégrée des risques naturels. La région poursuivra ses efforts de soutien à l’adaptation au changement climatique de ces territoires ».
Certes. Et il est largement temps en effet de développer le volet adaptation de nos politiques publiques. Le manifeste signé par 15.364 scientifiques lance à nouveau l’alerte ; nous sortons d’une nouvelle Cop à Bonn qui a confirmé l’insuffisance des engagements et moyens mis en œuvre pour le volet atténuation des émissions de gaz à effet de serre… Il est temps, oui, alors que les premiers effets du réchauffement climatique ne peuvent plus être niés et sont particulièrement visibles en montagne. C’est la multiplication des écroulements du à la fonte du permafrost, l’augmentation des sécheresses, le recul des glaciers et le manque d’enneigement chronique, autant de signaux de plus en plus alarmants. Dans les Alpes du Nord, le réchauffement atteint plus du double de la valeur moyenne en France qui est de +0,89°C : +2,1°C entre 1900 et 2016. Or une hausse de 1°C provoque une remontée de la limite pluie-neige de 150 à 200m. C’est donc en moyenne montagne que l’enneigement est le plus touché, avec une baisse régulière depuis la fin des années 80 : entre -20% et -25% en dessous de 1500m (voir le rapport publié en juillet par le réseau Alpages Sentinelles).
Notre responsabilité de politiques est d’anticiper ces changements, de développer la capacité de résilience des territoires de montagne et d’aider les stations à s’adapter : en un mot, préparer l’ « après ». Alors quand Gilles Chabert, conseiller spécial délégué à la montagne, feint de s’interroger : « D’ici 80 à 100 ans il n’y aura plus de neige dans les moyennes montagnes. Mais que fait-on d’ici là ? Est-ce qu’on arrête tout de suite ? » ça me donne comme une furieuse envie de jouer à feindre de croire qu’il s’interroge sincèrement. Sauf que ce n’est pas le cas, comme il l’a encore montré la semaine dernière en commission Montagne. Un vrai festival. Comme je contestais les chiffres qui nous ont été présentés, par exemple sur le fait que 100% de l’eau des canons à neige serait restituée (selon l’association Mountain Wilderness cité par Bastamag, on est à 30%), voici la réponse qui m’a été faite par Monsieur Chabert – je vous laisse savourer : “Les chiffres c’est ceux d’Atout France, on prend les chiffres qu’on nous donne (…) Et si sur l’évaporation c’est 15%, eh bien je la prends. On est à la marge, c’est comme les lacs en été. Moi ce qui m’intéresse c’est d’ouvrir à Noël et de fermer après Pâques“. Fermez le ban.
Et puis disons-le, parfois l’optimisme du conseiller spcécial à la montagne de Monsieur Wauquiez frise l’illusion : “80 à 100 ans”, vraiment ? L’absence de neige sera là avant, je le crains. Pour Jérôme Chappellaz, glaciologue et directeur de recherche au CNRS à Grenoble, d’ici 10 ans, maximum 20, toutes les stations dont les domaines skiables se situent en dessous de 1.800 mètres sont condamnées. Même en restant sous les 2°C de réchauffement mondial, l’engagement du Sommet de Paris, selon les Suisses de l’institut pour la recherche sur la neige et les avalanches et le laboratoire Cryos de l’école polytechnique fédérale, la couverture neigeuse des Alpes serait réduite de 30 % d’ici la fin du siècle et en 2100, il ne resterait plus aucune station en-dessous de 2500 mètres.
La question qui se pose à nous aujourd’hui n’est pas d’être pour ou contre le ski, mais comment les politiques publiques peuvent aider les stations à se préparer à l’après-ski. Alors pour répondre à la question posée par Monsieur Chabert « Que fait-on d’ici là ? » : on prépare le changement pour qu’il soit moins violent. Pour éviter de refaire le même coup qu’à Valdrôme où la station a fermé brutalement, sans préparation ni accompagnement, en 2015. Et s’inspirer plutôt de ce qui se fait à Autrans-sur-Isère, où le Maire explique : « Nous ne sommes pas dans le déni. Nous savons très bien que nous nous situons dans la tranche d’altitude qui va connaître les difficultés les plus importantes. Aussi, depuis plusieurs années déjà, nous nous préparons. Nous diversifions nos activités et nous raisonnons en termes d’attractivité globale du territoire ».
Or en matière de diversification, ce n’est pas en commission Montagne que ça se passe – depuis deux ans on n’y fait que du canon et le volet 2 du Plan neige sur l’hébergement se fait attendre – mais en Tourisme où un appel à manifestation d’intérêt en faveur de la diversification touristique quatre saisons a été lancé, pour une vingtaine de territoires de montagne. C’est un début, qui doit être renforcé, mais force est de constater que les actions en faveur de la montagne hors-ski sont aujourd’hui dispersées et manquent furieusement de lisibilité : on en retrouve des bouts en Sport, en Environnement, en Aménagement du territoire avec les Contrats ambition Région et le programme Soutien à la Ruralité ; les randonnées, rénovations de refuges et territoires d’excellence pleine nature sont en Tourisme ; le soutien d’opérateurs régionaux de la recherche comme Envirhonalp en Enseignement supérieur et Recherche… Alors jouons à utiliser leurs mots, qui nous sont si souvent opposés : « Nous proposons de donner davantage de visibilité à ces actions, de les rationaliser pour gagner en efficacité et de leur donner davantage d’ambition en les structurant dans de nouveaux contrats territoriaux « Montagne en transition ». Nous serions la première région, pionnière et en pointe, à proposer de type de dispositif. En avance sur la Suisse et l’Autriche… »
J’ai même proposé des critères et un début de cahier des charges, puisqu’on n’en a jamais obtenu de la part de Monsieur Chabert malgré mes demandes répétées sur le financement de la neige artificielle. J’ai donc proposé que soient éligibles aux nouveaux contrats « Montagne en transition » financés par la Région, les communes disposant d’un domaine skiable dont l’altitude est située en dessous de 1800 mètres (catégorie 1), et entre 1800 et 2500 mètres (catégorie 2), en fonction du nombre de remontées mécaniques, du chiffre d’affaires générés par l’activité ski, des finances communales et de la structure de l’endettement de la commune, le tout modulé selon les jours et le volume d’enneigement sur les trois dernières années. Dans le cahier des charges et les engagements réciproques, on peut imaginer le développement de stratégies de diversification économique et touristique alternatives au ski l’hiver et des investissements sur la saison estivale : nuitées en refuge, randonnée, chiens de traineaux, luge, vélo électrique, festivals culturels… On pourrait aussi se fier pour objectif d’élargir la clientèle familiale et locale par une baisse du forfait, du renfort utile pour la période de transition ; des formations qualifiantes pour les moniteurs de ski en reconversion volontaire et un « coup de pouce » financier (avance de trésorerie, PTZ, subventions) à la création d’activités locales ; des actions sur les lits froids, le logement des saisonniers, le respect de la loi LRU bien entendu, une politique d’accueil de familles pour lutter contre la désertification hors saison… Vote cet après-midi.
Et cerise sur le gâteau : je me suis fait le petit plaisir de proposer un bonus spécial « Montagne apaisée » pour les communes adoptant une approche touristique basée sur le paysage, le ressourcement, le bien être, parcours zen et zones de déconnexion. En vrai ? J’en rêve…