Souvenez-vous… Dans les années 80, le grand Desproges nous régalait chaque soir de son iconoclaste Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède. L’INA nous en fournit généreusement l’intégrale, et Wikipedia nous précise que la cyclopède est « une machine consistant à faire marcher un cheval sur une chenille de char pour faire avancer l’ensemble ».

Tout ceci j’avoue a titillé ma fibre moqueuse, et donné la furieuse envie d’un parallèle. Osé certes, mais lui aussi ô combien nécessaire.

Après la « libellule dépressive » , le « folklore », la « ruralité dans la pente » et autres générosités de langage fleuri, j’aimerais inaugurer la Minute lunaire de Monsieur Chabert, le “Monsieur Montagne Ski” de Laurent Wauquiez, que je soupçonne d’inventer secrètement une « machine consistant à faire tonner le canon à neige sur une chenille de char pour fêter Noël ». Je suis sûre qu’avec son sens de l’humour légendaire, Monsieur Chabert ne m’en tiendra pas rigueur.

Pour illustrer ce nouvel épisode de compte-rendu de mandat décalé, j’ai donc beaucoup hésité j’avoue entre ce « Amusons nous avec un être cher et un canon » :

Et le très adapté « Censurons le rossignol » :

Les deux ont leur charme absurde, parfait dans le contexte. Mais le clou reste cette Minute lunaire, à l’occasion du vote du Plan Neige dont je vous ai déjà abondamment parlé ici.

Oui, c’est bien Monsieur Chabert, appelant sans vergogne les élus à voter ce Plan neige, en tant que… Président des moniteurs de ski ! Et comme elle ne dure que 30 secondes, je vous invite à la regarder deux fois (si si, allez).

Je suis intervenue immédiatement après cette sortie (voir la vidéo en fin de billet), m’étonnant à nouveau de ce curieux mélange des genres. Monsieur Chabert a d’ailleurs du se faire gentiment recadrer, puisqu’après cet appel tonitruant, il n’a lui-même pas pris part au vote. Un souci que n’avait pas eu Monsieur Neuder lorsqu’il est intervenu pour voter la subvention de 4,7 millions au projet de Center Parcs à Roybon, territoire dont il est également élu

Comme quoi, à force de vigilance et de ne rien laisser passer, l’équipe de Monsieur Wauquiez apprend à être prudente et commence visiblement à comprendre qu’elle ne peut pas faire n’importe quoi. Très bien.

(Pour celles et ceux que cela intéresse, je vous renvoie notamment à l’article 2 de la Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique)

Au-delà de ce vice de forme, et plus sérieusement, le fond de ce Plan Neige prête hélas peu à sourire. C’est une vision simpliste et étriquée, mal travaillée (Monsieur Chabert a tout de même découvert en commission les critères d’altitude prévus en annexe, c’est assez inouï), avec un Plan Neige qui passe totalement à côté de l’enjeu climatique et risque fort de se révéler même dangereux pour les stations les plus vulnérables qui vont s’endetter. D’autant que suite à des interventions d’élus en commission, confirmées d’un amendement déposé par le FN, le seul critère à peu près clair qui fixait l’altitude minimale à 1.100 mètres a été retiré. Autant dire qu’en-dessous de ce seuil, avec une hausse moyenne de +1,9°C au Col de Porte (1.325 m) en 46 ans par exemple, on est à rebours de toute vision d’anticipation, et avant de rentabiliser ces canons – qui ne fonctionnent qu’en cas de températures entre -10°C (rendement maximal) et au grand max +2°C parce qu’il faut quand même bien changer l’eau en flocons – il va s’en écouler des amortissements et intérêts.

Enfin, avec ses dix millions consacrés exclusivement à l’enneigement artificiel, c’est un plan qui dépouille le reste des acteurs de la montagne : les futurs volets annoncés sur l’hébergement, le numérique, la santé, les transports, ne sont assortis d’aucun budget ni calendrier. Ils ressemblent pour l’instant plus à un hochet destiné à calmer les protestations qu’à un plan Montagne. C’est encore une fois d’un mépris total.

Voilà les arguments très résumés que je me suis efforcée de présenter à l’assemblée, une gageure en un temps de parole très réduit. Vous retrouverez ci-après mon intervention écrite « Se méfier des solutions simplistes qui s’avèrent pire que le mal » , et en voici la vidéo.

Deux minutes, salutaires je l’espère.

Plan Neige : « Se méfier des solutions simplistes qui s’avèrent pire que le mal »

Corinne Morel Darleux, pour le Rassemblement Auvergne Rhône Alpes

Il faut parfois se méfier des solutions simplistes, comme se dire : « il n’y a plus de neige, qu’à cela ne tienne, on va mettre des canons ». Parfois le remède s’avère pire que le mal.

D’abord, ce plan Neige ne va pas aider les petites stations vulnérables, mais au contraire les précipiter dans l’endettement, surtout en moyenne montagne, où l’augmentation des températures ne permettra pas de faire fonctionner les canons.

Ensuite, l’enneigement artificiel n’est pas « propre » : un hectare enneigé au canon c’est tout de même 4.000 m3 d’eau et 25.000 kilowatts ! Avec une telle gabegie, non seulement on ne répond pas au changement climatique, mais on l’aggrave, en accélérant du même coup le manque de neige ! C’est assez typique de la fausse bonne solution.

Et puis, Monsieur Chabert nous disait en commission : « En hiver, pas de neige, pas de client. Le reste c’est du folklore ». Passons sur le mépris contenu dans ce terme. Oui, les skieurs guettent la météo : cela fait partie de la culture du ski. Et quand il neige, la fréquentation est multipliée par 5. Mais ce n’est pas le cas avec les canons. Les stations qui les utilisent en début de saison, comme en 2014 et en 2015, n’atteignent jamais – et de très loin – leurs chiffres habituels.

Ces équipements vont faire augmenter les forfaits, on va perdre les locaux, les jeunes, et les skieurs les plus aisés eux iront skier ailleurs, plus loin, plus haut, là où la neige est tombée. On n’aura rien gagné.

Où est la vision à long terme de l’économie des stations ?
Où est l’accompagnement des acteurs pour s’adapter et se diversifier ?

C’est aujourd’hui qu’il faut investir dans le tourisme des 4 saisons. Or il n’y a dans ce Plan Neige aucune anticipation du changement de modèle vital pour notre Région. En fin de compte il y a un peut-être un seul point de vrai, quand Monsieur Chabert nous dit, sur l’appel à projets, que « ce sera toujours un copain à lui dans la montagne ». Même si, dans mes rencontres avec les acteurs, je n’ai pas rencontré que des fans…

Ce 1er acte d’un futur Plan Montagne néglige les habitants, les refuges, la randonnée, les gites, la pleine nature, l’été, et les 97% de montagne restants. On nous parle de 4 autres actes, mais nous n’avons aucune réponse ni sur le budget ni sur le calendrier.

Au final, aujourd’hui c’est uniquement un plan Neige, très réducteur et prométhéen, que vous nous proposez. Promettre de la neige à Noël à tout prix, c’est nager en plein déni. Vouloir maitriser à tout prix la montagne, en gommer les aléas et les aspérités, c’est en nier toute la singularité et la beauté.
Nos montagnes méritent mieux. Nos stations aussi. Nous voterons contre ce plan.