Dix siècles… C’est le temps qu’il faut à une forêt pour se développer pleinement à partir d’un sol nu. C’est vertigineux.
Alors que la voracité des profits et l’inconscience humaine déforestent et ravagent des zones entières, alors que notre ère s’habille de béton brûlant et de grands feux, alors que l’avenir semble de plus en plus incertain et dangereux, qui serait assez fou pour lancer le projet de reconstituer une forêt primaire ? Quand il devient difficile de se projeter à trois ans, un an, six mois, dans un quotidien tissé d’urgences, d’injonctions à l’instantané et de course planétaire… comment même se représenter l’immensité grandiose d’un millénaire ?
Loin, très loin des promesses de livraison instantanée qui débilitent nos capacités et polluent l’espace public, des polémiques d’un jour qui divertissent des vrais enjeux et font lamentablement dévisser le politique, loin des prouesses technologiques qui se révèlent toutes, les unes après les autres, désastreuses… avec un tel projet soudain on se prend à rêver à hauteur de canopée. Enfin nos horizons empêchés, pour peu que l’on regarde suffisamment loin, bien au-delà des paysages ras et asséchés, peuvent commencer à prendre la forme de volcans en fleurs et de frondaisons repeuplées.
J’aurais pu également vous parler de carbone, d’ombres de fraîcheur, d’oiseaux en liberté et de lianes sans tuteurs. Mais c’est avant tout ce rapport prodigieux au temps, le sentiment d’œuvrer pour un avenir lointain que nous ne verrons jamais, ce sentiment d’infinité, ce regain de dignité enfin, qui me semblent les plus saisissants dans le projet mené par l’association de Francis Hallé. Un projet qui peut sembler fou et vertigineux certes, mais qui risque bien de s’avérer en réalité, dans cette époque mortifère, une épopée avant tout visionnaire et sensée.