Une tribune a été publiée il y a quelques jours dans Le Monde, rédigée par Sarah Kilani (Médecin hospitalier), Nicolas Gonzales (Professeur de sciences économiques et sociales) et Pablo Servigne (Ingénieur agronome et chercheur), tribune que les auteurs m’avaient invitée à lire et à appuyer. Je les en remercie et détaille ici les raisons de cet appui.
Si j’ai accepté avec plaisir, même si je l’aurais parfois rédigé différemment, c’est justement parce qu’avec d’autres mots ce texte pointe lui aussi l’incurie des pouvoirs politiques en place et affirme sans ambages que “la voie de la négociation et de la réforme est une impasse”. Sans aucun angélisme, ses auteurs soulignent que “effondrement rime avec faim, soif, sécheresse, guerre et maladie” et appellent à une résistance radicale, faite de démissions du système et de blocage. Ce n’est pas rien.
Loin des nombreuses tribunes vides qui fleurissent en ce moment et des appels “apolitiques” à l’union sacrée, celui-ci n’hésite pas – et Diable c’est salvateur – à pointer la responsabilité du système dominant et des lobbies économiques. Et plus que jamais il faut dire le rôle de ceux qui les dirigent, de ceux qui les écoutent, qui les financent et les autorisent, faisant passer l’urgence climatique et sociale après les intérêts particuliers d’une oligarchie qui prend la terre pour un terrain de jeu et un capital à exploiter : “une oppression de la majorité dans l’intérêt d’une minorité”.
Je reste convaincue qu’au sein de cette majorité opprimée, la précarité est un frein à la mobilisation, et que trop de gens aujourd’hui sont bien obligés de mettre toute leur énergie et leur disponibilité d’esprit à survivre : engagement ne rime pas avec misère, et c’est pourquoi écologie et social vont de pair. Mais je crois aussi de plus en plus que la dignité du présent est du ressort de tous et que chacun y a droit. Face au “vieux monde [qui] se précipite dans l’abîme avec orgueil, cynisme, déni et inconscience”, notre dignité, collective comme individuelle, passe aussi par là : relever la tête, aider d’autres à le faire, s’organiser collectivement et devenir un lobby, nous aussi, “le premier et le plus puissant lobby du pays afin de sauver ce qu’il reste à sauver”.
Enfin si j’y retrouve de nombreux amis et compagnons de route, Geneviève, Christophe, Pablo, Txetx… cette tribune est également l’occasion de se relier avec d’autres espaces, d’autres réseaux, d’autres acteurs comme Guillaume Meurice, Bill McKibben ou Rob Hopkins, mais aussi des scientifiques, biologistes, anthropologues… L’occasion de sortir des cénacles. Une respiration qui ouvre d’autres horizons.
Et puisque les auteurs nous invitent à emprunter des chemins de traverse, à dépasser les chicaneries et “s’arracher à ses certitudes, plutôt que d’accepter le défilé des moqueries, des rancœurs, des politicailleries et des haussements d’épaules” : j’en suis.
Tribune : « Preuve est faite que la voie de la négociation et de la réforme est une impasse »
Par Sarah Kilani (Médecin hospitalier), Nicolas Gonzales (Professeur de sciences économiques et sociales) et Pablo Servigne (Ingénieur agronome et chercheur in-terre-dépendant).
Trop occupés à railler Nicolas Hulot et à psychiatriser son cas, les éditorialistes des chaînes d’information en continu, ceux qui de nos jours font l’opinion, passent à côté de l’essentiel : ils ne semblent pas même entr’apercevoir la gravité extrême de la situation. La démission de Nicolas Hulot est la manifestation d’un constat très grave d’impuissance de la part d’un ministre d’Etat venu pourtant pour négocier et réformer, et non renverser la table.
Face aux premiers effets dramatiques du dérèglement climatique, à l’emballement incontrôlable qui s’annonce et qui a déjà commencé, face à l’effondrement de la biodiversité et à la responsabilité humaine quant à l’ensemble de ces processus, la survie de notre espèce d’ici à la fin de siècle, et nos conditions d’existence à court terme, dépendent de notre capacité à refuser l’indifférence, le cynisme, la fatalité, pour enfin penser et agir pour la transition vers un monde résilient. Cette démission doit urgemment amener chacun à s’arracher à ses certitudes, plutôt que d’accepter le défilé des moqueries, des rancœurs, des politicailleries et des haussements d’épaules.
Un homme et même un gouvernement ne peuvent transformer seuls des structures aussi puissantes, soutenues par des intérêts divergents de ceux de l’humanité, très organisées et omniprésentes dans les sphères du pouvoir. Avec la démission de Hulot, preuve est faite que la voie de la négociation et de la réforme est une impasse. Ceux qui sont réellement conscients que la situation écologique est absolument catastrophique en viennent désormais à penser que de ce côté, nous avons tout essayé.
Si les populations ne prennent pas la mesure gravissime de la situation dans les semaines et mois qui viennent (nous en sommes là) et ne se constituent pas immédiatement en force collective déterminée et active dans le but de renverser l’influence des lobbies et de ceux qu’ils représentent, nous n’avons plus aucune chance d’échapper à tous les effets en cascade du dérèglement climatique, à terme incompatibles avec notre vie sur cette planète. Mais constatant que le minimum minimorum des actes citoyens individuels n’est même pas adopté par la majorité des ménages (se chauffer moins, consommer local, pratiquer le covoiturage, composter ses déchets alimentaires, réduire drastiquement sa consommation de viande et de produits laitiers, récupérer les eaux de pluie, s’engager dans le zéro déchet…), penser que les citoyens puissent être rapidement déterminés par ailleurs à se mobiliser massivement et collectivement pour faire baisser rapidement les émissions de gaz à effet de serre semble être une chimère.
Chaque semaine qui passe sans agir rend de moins en moins réalisable la tâche de réformer nos institutions de fond en comble, pour qu’elles prennent en compte le moyen et le long terme. Et la situation est clairement en train de nous échapper. L’effondrement de nos sociétés s’annonce de plus en plus probable. Qu’on se le dise : effondrement rime avec faim, soif, sécheresse, guerre et maladie, et ceci adviendra très probablement de notre vivant si nous ne prenons pas très rapidement des décisions drastiques.
Si les populations veulent pouvoir gérer la descente énergétique et matérielle qui vient en évitant le chaos, elles doivent désormais se constituer comme le premier et le plus puissant lobby du pays afin de sauver ce qu’il reste à sauver et de maintenir un socle minimal de bien-être ; elles doivent également adopter des stratégies de blocage de tout ce qui tue le vivant et détruit les conditions de vie des humains comme des non-humains ; elles doivent dans le même temps emprunter sans attendre les chemins de traverse et ouvrir la voie du monde de demain, dans leur commune, leur département, leur région — et cela sans compter sur un monde politique intrinsèquement inapte à opérer les changements nécessaires.
Aussi « radical » que cela pourra paraître à certains, chaque individu, chaque collectif et chaque organisation qui souhaite anticiper l’avenir avec responsabilité devrait dès aujourd’hui démissionner du système économique dominant qui est une tyrannie sur la nature et une oppression de la majorité dans l’intérêt d’une minorité, un système techniciste et marchand mortifère qui ravage la biosphère dont nos vies et celles de nos enfants dépendent, et devrait s’organiser avec détermination pour devenir architectes de nouvelles sociétés résilientes, seules à même d’assurer notre survie.
Puisque les pouvoirs en place restent désespérément sourds et aveugles à ce que nous enseignent à longueur de publications les spécialistes des sciences du vivant, et puisqu’ils refusent d’entreprendre l’immense travail nécessaire, préférant s’affairer à préserver un système économique à bout de souffle, l’heure est venue pour les citoyens de sortir du déni et de redevenir maîtres de leur destin. Non seulement ils peuvent et ils doivent devenir le lobby le plus puissant, mais il leur appartient aussi de construire dès aujourd’hui les modes de vie alternatifs basés sur la notion de résilience. Le vieux monde se précipite dans l’abîme avec orgueil, cynisme, déni et inconscience ; ne le suivons pas, inventons plutôt les sociétés que nous voulons voir advenir et redonnons du sens à nos vies. Ici. Maintenant.
Les personnes suivantes ont lu ce texte et l’appuient : Geneviève Azam (économiste et membre d’ATTAC), Gilles Bœuf (biologiste, professeur des universités), Alexandre Boisson (créateur de SosMaires.org et de actu-resilience.fr), Christophe Bonneuil (historien), Yves Cochet (président de l’institut Momentum et ancien ministre de l’environnement), Olivier De Schutter (professeur à l’université catholique de Louvain et ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation), Txetx Etcheverry (coorganisateur d’Alternatiba Bayonne), Philippe Gauthier (communicateur scientifique et chercheur indépendant sur les enjeux énergétiques), Stéphanie Gibaud (conférencière, auteure et lanceuse d’alerte), Christian Godin (philosophe), Clive Hamilton (professeur d’éthique à l’université Charles Sturt, Australie), Rob Hopkins (cofondateur du Transition Network), Arthur Keller (spécialiste des vulnérabilités des sociétés industrielles et des stratégies de résilience), Freddy Le Saux (président de Terre de Liens), Bill McKibben (journaliste américain spécialisé dans l’environnement), Vincent Mignerot (écrivain, chercheur indépendant et fondateur d’Adrastia), Guillaume Meurice (humoriste et chroniqueur radio), Alexandre Monnin (directeur scientifique d’Origens Medialab), Corinne Morel Darleux (conseillère régionale LPG de la Drôme), Clément Montfort (journaliste et réalisateur), Véronique Naoum Grappe (anthropologue), Emmanuel Prados (chercheur INRIA), Maxime de Rostolan (fondateur de Fermes d’Avenir et Blue Bees), Sandrine Roudaut (auteure, éditrice), Raphael Stevens (expert en résilience des systèmes socioécologiques) et Laurent Testot (journaliste et essayiste).