Voici ma contribution au livre collectif « Relions-nous ! La Constitution des liens – L’an 01 », paru aux éditions Les liens qui Libèrent en juin 2021, avec leur aimable autorisation. L’invitation de départ était de produire un texte court sur la transition à l’œuvre au sein des organisations politiques – des partis aux mouvements, les nouveaux modes d’actions politiques – assorti de deux ou trois articles de loi, façon « constitution ». J’ai puisé dans mon expérience des partis politiques, de 2008 à 2018, et surtout de mon expérience depuis dans d’autres réseaux militants pour dégager quelques pistes. Des hypothèses formulées en février 2021, qui restent ouvertes mais qu’il m’a semblé intéressant de publier ici pour prolonger la réflexion en ces temps d’élections

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Des organisations politiques

Le centre de gravité de la réflexion et de l’action politique est en train de se déplacer. Les formes traditionnelles d’organisation, partis et syndicats, sont en perte de vitesse. En parallèle de cette désaffection et face à l’urgence et la gravité de la situation sur les plans climatiques, sociaux, démocratiques et de destruction de la biosphère, émergent de nouveaux collectifs, d’autres formes de lutte et d’alternatives auto-gérées, avec un regain des questions d’autonomie.

De nouveaux publics, dans la jeunesse en particulier, s’engagent avec une volonté d’action concrète et immédiate. Les territoires en lutte ou en expérimentation se multiplient, via l’invention de nouvelles manières de vivre et d’habiter un lieu. Des convergences se font entre luttes sociales et environnementales, contre les différentes formes de discrimination à l’œuvre dans la société. Le point d’entrée commun de ces initiatives réside souvent dans l’anti-autoritarisme et la lutte contre les dominations. De là découle l’articulation entre l’autonomie, entendue au sens de choisir ses dépendances, la démocratie en tant que reprise en main de ce qui a été délégué aux institutions, l’écologie comme fin de l’anthropocentrisme et de l’exploitation du vivant, la dénonciation du patriarcat, du colonialisme et du racisme.

Tout ceci dessine les contours d’un nouvel agir collectif qui diffère du militantisme traditionnel en plusieurs dimensions :

Performatif : loin des sirènes médiatiques, il se construit dans le faire plus que dans la visibilité ou la revendication. Le rapport de forces se mue en “dynamique de forces” et développe des rapports de coopération. Il est dissocié du nombre, de la nécessité de faire masse et unité autour d’un même slogan et bat en brèche l’idée selon laquelle le gouvernement agira si nous sommes suffisamment nombreux. Luttes comme alternatives relèvent davantage de la démonstration par le fait et d’une forme d’action directement transformatrice et performative, dont les revendications sont atteintes dans leur propre réalisation. Elles ne visent pas tant à développer une revendication sectorielle, qu’à provoquer un changement immédiat sans en déléguer la mise en œuvre à l’État ou l’institution.

Archipélique : la démarche que l’on pourrait qualifier de continentale, qui repose sur l’unité d’action et des mots d’ordre, induit trop souvent de raboter et comprimer la variété des pratiques. Elle cède la place à une vision plus archipélique de la «convergence des luttes ». Que ce soit pour les écolieux, la paysannerie alternative, les résistances aux GPII (grands projets inutiles et imposés), il s’agit de se tisser en rhizome, sans renoncer à la singularité de chaque îlot de résistance, c’est à dire en acceptant les différences de modes d’action et de cultures politiques, d’envies et de possibilités – y compris matérielles – de chacun-e. C’est une résistance à la simplification et au rétrécissement des possibles, pour penser l’unité dans la diversité.

Triptyque : construction d’alternatives, résistance au système et bataille culturelle, sont envisagées d’un seul et même tenant. Sans l’une, les deux autres perdent de leur acuité et de leur subversivité. L’intensité des actions de lutte peut être variée, du maraîchage collectif jusqu’au blocage de chantiers. Les gestes de sécession, de retrait du système, ne sont pas perçus comme un abandon de la lutte mais comme la démonstration qu’il est possible de vivre autrement, en dehors des circuits marchands et en harmonie avec le reste du vivant.

Rhizomique : la lutte ne se concentre pas en un point focal mais se démultiplie en s’ancrant dans des projets locaux, à combattre ou à construire. Elle repose sur la force du réseau : des activistes nomades, des plateformes partagées d’auto-organisation, des circuits d’information très réactifs en cas de menace d’évacuation et une solidarité qui mise souvent sur l’attachement – ainsi des festivals et événements festifs qui créent un engagement sensible à défendre le lieu.

Affinitaire : le socle commun est tissé de politique, au sens du projet partagé, tout autant que d’affinitaire. La dimension humaine est cruciale. Sa criticité est renforcée par les principes d’égalitarisme, a fortiori dans le cas de lieux de vie alternatifs où les zones potentielles de frictions sont accrues.

La gravité de la situation et l’urgence à agir, contrer ou ralentir l’emprise destructrice du système actuel, impose de repenser nos modes d’action non dans l’exclusion mais dans l’interdépendance, afin d’archipéliser les différentes îlots de résistance et établir une stratégie commune. Il ne s’agit pas de faire du localisme ou de la ZAD un fétiche mais bien de reconsidérer les articulations entre rapport de force institutionnel et actions performatives, entre participation aux élections et auto-gestion, entre structures traditionnelles et nouveaux collectifs, afin de dégager les jalons d’un devenir majoritaire en vue de sortir des interstices et, in fine, de faire système.

Afin d’accompagner cette nouvelle tectonique militante et l’indispensable changement de cap civilisationnel qu’elle soulève, il convient de :

★ Mettre fin à la Ve République et revoir en profondeur les principes de démocratie représentative durant la phase de transition, à commencer par la proportionnalité des scrutins, le strict non cumul des mandats et la création, refonte ou suppression de certaines institutions nationales et des différents échelons de la prise de décision.

★ Geler toute nouvelle production ou importation de matière non justifiée par une impérieuse nécessité sociale, et la mise en place d’un plan massif « zéro matière » soutenu par la garantie en dernier ressort par l’État d’emplois à visée sociale et environnementale permettant d’atteindre cet objectif.

★ Lancer un débat populaire national de type constituant sur l’adéquation entre nos territoires de vie et la source de nos subsistances, ce à quoi nous sommes attaché-es et ce à quoi nous sommes en mesure de renoncer, ce qui doit continuer à relever de l’État et ce qui peut être repris en main par des assemblées de citoyen-nes avec un haut niveau de subsidiarité.