J’étais invitée ce samedi à prendre la parole au nom du PG au meeting populaire organisé pour la commémoration de Mohamed Brahmi au Palais des Congrès de Tunis. Un discours accueilli chaleureusement, ci-après in extenso et en téléchargement, qui je l’espère contribuera utilement… Même si j’ai bien conscience qu’il en faudra plus pour sortir de l’ornière dans laquelle se trouve hélas le monde arabe aujourd’hui. Je dois avouer que ces journées de rencontres et d’échanges passées à Tunis avec des représentants du Maghreb et du Moyen Orient me laissent franchement perplexe et inquiète sur la suite des événements. Notre soutien lui reste intact naturellement, et il sera toujours du côté de ceux qui luttent, comme je le disais hier :
contre l’obscurantisme, contre tous les sectarismes, contre l’oligarchie financière, pour reprendre la main sur nos destins et redonner fierté à nos peuples opprimés et baillonnés. De part et d’autre de la Méditerranée, réaffirmons qu’il n’y a que des peuples souverains, qu’ils soient tunisiens, palestiniens, grecs ou français, qui, par-delà leurs spécificités, ont des aspirations universelles aux droits humains et au bonheur
Mais ce 25 juillet, et ce n’est pas un hasard évidemment si c’est la date à laquelle Mohamed Brahmi a été assassiné, c’était aussi la fête de la République en Tunisie. Elle a été soulignée d’un feu d’artifice auquel nous avons assisté du haut des gradins du théatre antique de Carthage, un lieu absolument extraordinaire. Nous y étions en anonymes heureux, au milieu de 10.000 personnes venues assister à un concert-opéra de Fadhel Jaziri. Un tourbillon de psalmodies et de danses soufis mêlés de chants populaires, de ceux qu’on joue aux mariages, le tout accompagné par un batteur et un guitariste issus du hard-rock. Il faut voir ces milliers de personnes se mettre à taper dans leurs mains, aux premières notes d’un refrain connu crier de joie et se lever comme une immense vague sur les gradins pour se mettre à danser. Et il faut danser avec eux. En lâchant prise, en oubliant le reste, les doutes et les colères, les réticences et tout ce qu’il reste à faire. C’était un moment unique, magique, joyeux et fier… Inoubliable.
Cette fin de journée du 25 juillet est comme un condensé de ce que j’ai ressenti ici en Tunisie. Un mélange de noirceur – celle des assassinats, du terrorisme djihadiste et de la riposte politique adaptée qui ne vient pas – et de lumière, celle d’un peuple qui refuse de céder à la peur et va puiser dans un mélange artistique de traditions culturelles, de soufisme des origines et d’accents modernes, de la fierté et de la joie.
Intervention de Corinne Morel Darleux pour le PG au Meeting de Tunis (à télécharger en format PDF)
Intervention de Corinne Morel Darleux pour le Parti de Gauche au Meeting populaire de commémoration de l’assassinat de Mohamed Brahmi
Tunis, le 25 juillet 2015
Mes camarades, cher-e-s ami-e-s tunisiens,
Au nom du Parti de Gauche, merci. Chokran jazilan. C’est pour moi une grande fierté de m’adresser à vous en ce jour. Je le fais avec beaucoup d’émotion, tout comme il y a deux ans à la Bourse du travail de Saint-Denis en France, où j’étais intervenue juste avant notre camarade Hamma Hammami. Comme pour les 40 jours de la mort de Mohamed Brahmi où Jean-Luc Mélenchon avait pris la parole au meeting de la place centrale. Comme nous avons été présents, avec nos camarades, à chaque rassemblement de solidarité avec le peuple tunisien. Notre parti, le Parti de Gauche, a vécu au rythme de la révolution tunisienne.
Je le dis avec toute la solennité due à l’hommage que nous rendons aujourd’hui au camarade Mohamed Brahmi, lachement assassiné le 25 juillet 2013, cinq mois après notre ami Chokri Belaid. Nous n’oublions pas à quel point ces deux pertes terribles, ces deux disparitions violentes, ces deux assassinats politiques, ont ébranlé notre famille politique. En Tunisie, mais aussi en France et dans l’ensemble du monde des forces progressistes. Nous n’oublions pas, enfin, les actes terroristes qui ont ensanglanté nos deux pays. Cette longue et terrible série de violence fanatique et aveugle, de Paris en janvier au musée du Bardo en mars et à la plage de Sousse en juin. Sur tous ces événements, nous nous joignons à nos camarades du Front populaire Tunisien pour demander que toute la vérité soit faite.
Mais aujourd’hui, en ce jour funeste du 25 juillet 2015, nous n’oublions pas non plus combien le processus de révolution citoyenne et d’assemblée constituante, ouvert en 2011 en Tunisie, et au sein duquel le Front Populaire a depuis été une force essentielle, avait regonflé le cœur de la gauche internationaliste. Nous savons, nous, que la Tunisie ne se résume pas à l’image qu’en donnent les médias dominants. Surfant sur l’écume des choses entre deux prises de vues, les adeptes du choc des civilisations ne donnent à voir de la Tunisie que des plages désertées par les touristes, et la réduisent à des groupes identitaires et religieux violents.
Or non ! La Tunisie, c’est bien plus que ça.
La Tunisie c’est aussi la dignité et la puissance d’un peuple, et de la société civile, qui ne lâchent rien. C’est la mobilisation des collectifs de citoyens qui n’en peuvent plus d’être ensevelis sous les déchets à Djerba, ou encore qui refusent comme ils disent eux-mêmes de “boire l’eau des générations futures” en exploitant les gaz de schiste. C’est la capacité de résistance des forces progressistes qui a encore été démontrée cette semaine tout au long de nos débats. C’est, aussi, les spectacles d’opéra de musique soufie sur la scène du théâtre antique de Carthage…
Alors oui. La Tunisie connait depuis des années ses moments lumineux et ses difficultés, terribles, mais ce que nous voulons retenir avant tout, c’est le courage et la fierté de son peuple, et la volonté d’unité des forces de résistance. Cette coopération est une ardente nécessité. Car nous savons, chers camarades, que dans l’ombre de tout processus révolutionnaire, se tapissent des forces contre-révolutionnaires, qui s’attellent aux processus insurrectionnels et aux tentatives d’émancipation populaires pour les circonscrire et les utiliser à d’autres fins. Face à celles-ci, nous devons unir nos forces et inventer un autre projet politique, capable d’incarner l’alternative face aux menaces que font planer la dette illégitime et les mesures d’austérité de la Troika sur les peuples européens : en Grèce bien sur mais aussi en Espagne, au Portugal, en Italie et bientôt en France. Et ici aussi, en Tunisie.
Or, avec le Maroc, l’Algérie, la Lybie… Nous avons un bien commun : la mer Méditerranée, un véritable écosystème naturel mais aussi culturel, économique et humain qui nous fournit, par-delà les frontières, un intérêt commun et un terrain concret pour l’édification d’un arc euro-méditerranéen de coopération sociale, écologique et démocratique. Ce projet qui lie le meilleur des traditions politiques, humanistes et progressistes, en prenant en compte le nouveau défi climatique et les risques de conflit géopolitique liés à l’accaparement des ressources naturelles, ce projet nous l’appelons écosocialisme. Il a été théorisé sous forme d’un Manifeste, désormais traduit en arabe et dans douze autres langues. Un réseau écosocialiste européen existe déjà. Il est grand temps qu’il s’ouvre et s’enrichisse de l’expérience de nos amis du petit bassin méditerranéen.
La Tunisie est forte d’une belle histoire de luttes, autour des mouvements de la gauche tunisienne, des forces du peuple tunisien et de la grande UGTT. Des mineurs de Gafsa aux chômeurs de Siliana, des instituteurs, des femmes, des pêcheurs artisanaux, des avocats qui défendent l’indépendance de la justice… La liste est longue qui témoigne de la vitalité des résistances politique, démocratique et sociale en Tunisie.
Au nom du Parti de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon, je vous propose donc, comme Hamma Hammami nous a fait l’honneur de nous y inviter lors de notre Congrès à Paris, à faire vôtre ce Manifeste pour l’écosocialisme et à construire, ensemble, la coopération euro-méditerranéenne pour les révolutions citoyennes de demain.
Contre l’obscurantisme, contre tous les sectarismes, contre l’oligarchie financière, pour reprendre la main sur nos destins et redonner fierté à nos peuples opprimés et baillonnés, De part et d’autre de la Méditerranée, réaffirmons qu’il n’y a que des peuples souverains, qu’ils soient tunisiens, palestiniens, grecs ou français, qui, par-delà leurs spécificités, ont des aspirations universelles aux droits humains et au bonheur.
Ami-e-s, camarades, vive la Révolution citoyenne, vive la République sociale, vive l’internationalisme écosocialiste, et vive l’amitié franco-tunisienne !