Quatrième chronique de ma série “Anticipations” : pour parler de malthusianisme et d’écologie à partir de fictions, entre collapsologie et dystopie, avec des films qui nourrissent la réflexion sur les politiques de démographie imposée mais aussi sur l’infertilité subie…
Population zéro
Dans les débats sur les causes potentielles d’extinction de notre civilisation, revient souvent l’idée selon laquelle l’explosion démographique va précipiter l’effondrement. Et de fait les statistiques ont de quoi effrayer. Nous avons passé le milliard d’individus en 1820, et les 7 milliards en 2011. Pour 2030, l’ONU annonce une population mondiale de 8,5 milliards d’êtres humains, qui devrait se stabiliser autour de 10 milliards en 2200. Mais pour l’instant la courbe est exponentielle : en 1930 il fallait 123 ans pour augmenter la population d’un milliard, en 2012 c’était chose faite en 13 ans.
Ce défi a nourri de nombreuses dystopies, parmi lesquelles des gouvernements autoritaires imposent l’enfant unique, voire l’interdiction pure et simple de se reproduire. Ainsi dans Zero Population Growth (1972), alors que la pollution, l’épuisement des ressources naturelles et l’extinction des espèces ont atteint un seuil d’invivabilité, un moratoire est pris pour interdire toute nouvelle naissance pour une période de 30 ans, sous peine de mise à mort des parents et de l’enfant. Même scénario dans What happened to Monday (2017) où une politique d’enfant unique est mise en place. Les contrevenants s’exposent à voir leur enfant enlevé et officiellement placé en cryogénisation le temps que la planète se soit régénérée.
Retour au présent. La politique de l’enfant unique mise en place en Chine de 1979 à 2015 incluait des sanctions, mais a aussi provoqué avortements et stérilisations forcées. Elle aurait également éliminé 500 à 600 000 filles chaque année : la mariée se devant à sa belle-famille, un fils constitue visiblement une meilleure garantie contre les aléas de la vie. On estime enfin à 13 millions le nombre d’« enfants noirs » en Chine, dissimulés par les familles par peur des représailles, privés d’école, de soins ou d’emploi déclaré, sans acte de naissance ni papiers d’identité.
Selon les officiels chinois, la politique de l’enfant unique aurait permis d’éviter quatre cents millions de naissances. Mais des scientifiques estiment quant à eux que la baisse du taux de fécondité s’inscrit dans une tendance plus générale qu’on observe partout dans le monde. Accès à l’éducation et à la contraception, amélioration de la protection sociale et hausse du niveau de vie, vieillissement des femmes en âge de procréer et crise économique sont autant de facteurs très variés qui peuvent l’expliquer. Mais depuis quelques années apparaît également un nouvel élément qui pourrait bien tout bouleverser : l’incidence des perturbateurs endocriniens. Et si le scénario du futur n’était pas celui d’une interdiction dictatoriale, mais d’une impossibilité biologique croissante à faire des enfants ?
Plusieurs films ont envisagé cette autre forme de dystopie : non de restrictions, mais d’incapacité pure et simple à procréer. Children of Men (2006) est un monument du genre. Il dépeint une société ravagée par les inégalités, la violence et les pandémies, où il n’y a plus de bébé, plus d’enfants, plus d’adolescents. Où la dernière naissance remonte à vingt ans.
La dystopie n’est ni délire gratuit d’imagination malsaine, ni goût déplacé pour l’horreur, mais un genre qui tire sur les pires fils déjà présents du réel pour voir ce qu’ils donneraient poussés à leur paroxysme. Un peu comme les scenarii d’emballement climatique « business as usual » du GIEC, qui d’une certaine manière fait à son insu de la dystopie scientifique. Or qu’observe-t-on dans le réel d’aujourd’hui ? Des signaux faibles, qui vont grandissant. Les consultations pour infertilité augmentent. Distilbène, Bisphénol A, antalgiques, mais aussi pesticides ou assouplissants du plastique, provoquent maladies du système reproductif chez les femmes, baisse du taux de testostérone, malformations et perte de qualité du sperme chez les hommes. Le nombre de spermatozoïdes a ainsi diminué en moyenne de moitié entre 1973 et 2011 aux États-Unis, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Bien sûr les facteurs démographiques sont multiples, leurs conséquences complexes à modéliser, et nous ne vivons pas encore dans le futur, mais rien ne nous interdit d’y penser. La biocapacité disponible de la planète est de 12 milliards d’hectares globaux (gha). Nous sommes aujourd’hui 7.4 milliards d’êtres humains, ce qui équivaut à 1.6 gha disponible par personne. Or la ponction aux Émirats Arabes Unis est de 10.6 gha par habitant, 8.2 aux États Unis d’Amérique, 5.1 en France. Elle est de 1.2 en Inde et 1.0 au Kenya. Le premier impératif est donc celui de la préservation et du partage des richesses naturelles au niveau international. D’autant que l’empreinte écologique est généralement inversement proportionnelle avec la natalité : dans les pays les plus pauvres, l’absence de moyens de contraception et de planning familial va trop souvent de pair avec des situations sanitaires intolérables au 21e siècle, un taux de mortalité infantile élevé et d’accès à l’éducation – des femmes notamment – faible. Faire des enfants vient encore trop souvent pallier, pour les populations les plus en difficulté, à l’absence de protection sociale. Les enfants deviennent l’assurance retraite de leurs parents, ce qui de toute évidence ne peut être considéré comme un choix émancipé.
Pour éviter la dystopie d’une démographie imposée, comme d’une infertilité subie, il est urgent de repenser notre consommation à l’échelle planétaire et de donner aux femmes et aux hommes la capacité de faire de vrais choix qui leur soient propres en matière de parentalité. C’est un facteur de progrès, de raison et de dignité.
Zero Population Growth (Population Zero) de Michel Campus, 1972
What happened to Monday (Seven Sisters) de Tommy Wirkola, 2017
Children of Men (Les fils de l’homme) de Alfonso Cuarón, 2006