Première session plénière à la Région Auvergne Rhône Alpes, hier et aujourd’hui, depuis… la fin décembre. J’ai failli ne pas la retrouver, cette session précédente, je ne voyais rien dans mon agenda. Et pour cause.
Certes, il y a quand même eu depuis quelques commissions permanentes (qui ne font que décliner les grandes orientations politiques votées en assemblée plénière, durent bien moins longtemps et ne réunissent pas tous les élus) mais c’est bien la première plénière de l’année – ce qui est déjà en soi assez délirant en terme de travail de l’assemblée, même en incluant l’imprévu covid. Résultat, fatalement, deux jours archi-serrés où on est censés débattre et voter sur des millions de budget, de plus en plus assommés dans notre bocal aveugle, sans lumière du jour, perdant la notion du temps, de 10h à minuit passé. Le tout dans une ambiance un peu lunaire avec seulement la moitié des élu-es dans l’hémicycle, les autres devant leur télé, réunis par groupe politique dans des salles de commission à côté. Un mélange de discipline, avec des sièges tampons et des marques au sol, et de laisser aller, de masques plus ou moins ajustés et de nez qui dépassent, mais surtout un constat qui s’impose : rien n’a changé.
Sur le compte administratif et le compte de gestion, on tente notre chance et on en profite pour proposer que la Région se munisse enfin d’un budget carbone, au même titre que le budget financier de la Région et avec les mêmes obligations de suivi, qu’elle mette en place d’autres indicateurs que le AAA parce qu’en vrai on n’est pas des andouillettes ni une entreprise privée. En vain. Le vocabulaire ne change pas plus que les mentalités : compétitivité, attractivité, ni dette ni impôts, une région bien gérée qui ne compte que les euros. Changer de méthode ç’aurait été commencer à changer le fond. C’est visiblement déjà trop.
Des mots qui changent, il y en a tout de même : la marque régionale “La région du goût”, lancée à grands renforts de publicité et de têtes de gondole il y a trois ans, change déjà de nom. Un nouveau logo pour cette nouvelle marque “Ma région, ses terroirs”, mais on cherche en vain ce qui motive ce changement, à part une stratégie de communication ratée. On n’est pas rats, donc on souffle à la majorité de quoi motiver ces nouvelles dépenses d’enrobage et même on est tellement sympa qu’on reprend ce qu’ils ont eux mêmes déjà acté : vu qu’il est fait opportunément mention dans le plan de relance à ce sujet de « souci de protéger la santé du consommateur et de respecter la nature » (ce qui est une précision louable et majeure, même si on y aurait bien ajouté la santé des producteurs eux-mêmes), écrivons-le en toutes lettres. Ces critères n’étaient pas présents dans la précédente marque, qui ne portait que sur la provenance et non sur les modes de production ou la qualité sanitaire, gustative ou environnementale des produits. Bref : inscrivons donc ces mots-là. Ce sera non : “Nous on s’engage sur la provenance, pas sur la qualité”. Les ‘terroirs’ qui prêtent leur douce image à la nouvelle marque apprécieront.
Par ailleurs cette marque régionale, qui vise avant tout à soutenir et développer la production locale, intègre un volet de promotion à l’international. Ce double mouvement de relocalisation et d’exportation peut paraître contradictoire, surtout en ce moment où l’agriculture paysanne et locale prend une importance particulière, pour les producteurs comme pour les consommateurs. La mondialisation, notamment à travers les traités de libre échange, est vivement critiquée par l’ensemble de la profession. Nous proposons donc de revenir à une logique simple : le développement de la production locale par la consommation locale. La marge est large : lorsque l’ensemble de la production régionale sera écoulé sur le territoire, où l’attente et le besoin de produits locaux de qualité est important, lorsque les importations lointaines auront été réduites au minimum, il sera temps de voir au cas par cas s’il convient d’exporter les surplus régionaux ou de diversifier les productions en fonction des besoins alimentaires locaux. Peine perdue, ce sera non également.
Enfin, pour favoriser la consommation locale et faciliter l’accès du plus grand nombre aux produits de cette marque, distribuée notamment dans les grandes et moyennes surfaces via un partenariat avec la Région, on suggère de mettre la pression sur les marges de la grande distribution afin que les producteurs soient rémunérés décemment et que les consommateurs ne soient pas dissuadés ni pénalisés par le coût de cet intermédiaire puissant. Encore raté, il parait que ce n’est pas de notre ressort (mais financer des routes nationales ou fournir des masques ne l’est pas plus il me semble). On nous explique en gros que la Région peut négocier des PLV (publicités sur le lieu de vente) mais pas peser sur la commercialisation. Une sorte de sous-VRP, en somme. Bref, ce changement de marque ne sera pas l’occasion d’y apposer une exigence de qualité, de relocalisation ou de pression sur la grande distribution. On change juste de nom et de logo. Bon.
Toujours sur ce plan de relance, je fais aussi part des inquiétudes montantes sur l’emprise technologique dans nos vies, ce sentiment de dépossession quand ce sont des algorithmes et de l’intelligence artificielle qui font des choix à notre place, quand on ne peut même plus réparer une voiture ou un tracteur sans la mallette numérique du constructeur, sans parler du coût environnemental en matière de ressources et de la gabegie énergétique que ça représente. Je vais jusqu’à reconnaitre, bonne pâte, qu’on a tous eu recours pendant le confinement à la visioconférence et aux ‘chats’ en tous genres pour s’organiser – un petit gage d’honnêteté intellectuelle pour nuancer mon propos et faire preuve de bonne volonté. Mais je souligne aussi que la pandémie a montré à quel point des événements imprévus pouvaient venir bouleverser le cours de choses qu’on pensait ancrées, à quel point la dépendance au tout numérique vient renforcer notre vulnérabilité. J’y mets du cœur, je vous assure, même si ce n’est pas la première fois qu’on tente le coup sur ce sujet là. Encore raté : “On répond aux besoins des entreprises”. Ça a au moins le mérite d’être clair. Les citoyens, l’environnement, le climat, ça va bien. Ah non, attendez, une autre réponse de l’exécutif, de la vice-présidente au numérique : “Si si on y pense, ça va être intégré aux réflexions du Campus du numérique”. Oh ? Oui oui, il va y avoir plein de super e-trucs sur le “green code” et le “numérique responsable”, pour des “usages éclairés”. Low tech en diable. Pour mémoire, la Région finance des ombrières connectées pour l’agriculture, des mesures par satellite du manteau neigeux pour savoir où faire cracher les canons, des drônes pour surveiller les loups et des GPS pour les brebis et les patous, entre autres joyeusetés. “Usages éclairés”.
Je suis déjà très longue, je ne vais pas vous refaire les seize heures d’AP. Notre groupe RCES est intervenu sur des sujets très variés, de la conditionnalité des aides économiques à la préservation de l’eau, de l’anticipation d’une nouvelle vague de covid à l’application stricte de la séquence “éviter – réduire – compenser”, des problématiques de santé environnementale au sauvetage de Luxfer, du projet de RN88 en Haute Loire (235 millions d’euros régionaux, 140 hectares d’habitats naturels, 80 de terres agricoles, 29 fermes touchées et des agriculteurs expropriés) à la méga chapelle de 3500 places dans le Parc Naturel régional des Monts d’Ardèche à Saint Pierre de Colombier.
Juste, pour finir, une pépite qu’on vous a dénichée dans les rapports de commission permanente, au chapitre “biodiversité” : l’autorisation de forage d’un puits de captage pour Volvic en remplacement d’un autre, épuisé, pour anticiper “sur le risque de panne ou incident qui aurait pour conséquence une réduction significative des capacités d’embouteillage de l’eau minérale et donc un impact sur les résultats économiques de l’entreprise”. Dans le paragraphe juste au-dessus, le rapport nous rappelle qu’on est dans une réserve naturelle, qui abrite notamment des “gites d’hivernage majeurs pour les chauves-souris à l’échelle de l’Auvergne, qui ont justifié le classement en réserve naturelle en 2014”. Un rapport qui sera voté par la majorité, quelques heures après la grande délibération environnement du mandat de Laurent Wauquiez.